À la recherche du point Godwin

LA «loi de Godwin» vient d'une constatation faite sur les réseaux Usenet (la communauté de chercheurs des universités américaines avant Internet) : sur les forums, plus un débat s'éternise, et plus la probabilité d'apparition des mots «Hitler» ou «nazi» s'accroît. Ce point de non-retour – l'insulte –, qui en pratique clôt le débat, est appelé le point Godwin, «point» étant entendu dans le sens de moment précis, comme le point d'ébullition ou de congélation d'un liquide.

Par mécompréhension ou par fantaisie, un point Godwin en est arrivé à désigner un «mauvais point» pour stigmatiser l'intervenant qui en est réduit à l'insulte «fasciste» ou «nazi». Il est parfois conseillé au bénéficiaire de détacher ce point de son écran à l'aide d'un marteau et d'un burin.

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Cette attribution amène plusieurs difficultés logiques ou éthiques.

Premièrement, cette «loi» est proche d'un truisme. En effet, plus un débat se prolonge, plus la probabilité de rencontrer n'importe quel mot pris au hasard est grande. Il aurait donc fallu voir si le mot «nazi» et le nom «Hitler» arrivent plus facilement que d'autres, ce qui serait compréhensible dans les forums où la politique peut intervenir; or celle-ci peut survenir dans beaucoup de discussions entre internautes : les entraves à la liberté, la sécurité, l'éducation, le prix de l'essence, les dernières vacances…

D'autre part, certains internautes privilégient la forme sur le fond en réagissant au simple mot «Hitler», même s'il ne fait pas partie d'une insulte. Un réflexe pavlovien, en quelque sorte. Et même en privilégiant le fond, une question du genre «Est-ce bien démocratique ?» pourrait amener à se faire attribuer un «point Godwin».

Par ailleurs, une telle «chasse» rend certaines idées incriticables. Sans présumer des intentions de Mike Godwin (°1956) qui prétendait faire une remarque empirique, cette mise au pilori dès qu'on met en doute l'aspect démocratique d'un discours immunise les affirmations d'extrême droite, et seulement celles-là : est-ce que des «points Godwin» sont distribués lorsqu'on se fait traiter de communiste, ce qui est très commun aux États-Unis ?

Enfin, cela permet de se poser en juge lorsqu'une discussion tourne au vinaigre. Si l'on est «partie», c'est éthiquement inacceptable puisqu'il s'agit d'une manière de clore définitivement le débat, attitude que pourrait justement dénoncer l'invocation au point Godwin.


Jean-Christophe Beumier