Sous le couvert d'humour, les stéréotypes
L'EXCUSE habituelle, lorsqu'on critique les réclames nauséabondes, c'est qu'il s'agit d'humour. Humour ou pas, ne vous permettez jamais d'insulter un policier ou un juge… D'autre part, «Durafour… crématoire», c'était, selon la défense de Le Pen, également de l'humour. L'humour serait-il un argument invincible?
«Dis-moi ce qui te fait rire, et je te dirai qui tu es». Que nous raconte la réclame, avec ou sans «humour»? Elle exploite les stéréotypes, que peu assument pleinement, mais qui rassurent ou font plaisir à entendre ou flattent les sentiments primaires de l'être humain.
La liste qui suit est loin d'être exhaustive. Il ne tient qu'à vous de noter systématiquement les publicités qui passent sur votre chaîne de radio ou de télévision préférée pour réellement voir si la réclame rabaisse ou non les citoyens et, parmi ceux-ci, les femmes.
Pour la pub, VOUS êtes la cible
Patrick Le Lay, PDG de TF1, l'a reconnu: son travail consiste à vendre du temps de cerveau disponible pour les annonceurs (acrimed). Mais si tous les publicitaires n'apparaissent pas aussi cyniques, n'oublions pas la terminologie militariste: stratégie, campagne, impact, (public-)cible… Cela peut expliquer le peu de cas que la publicité fait des personnes.
La personne comme marchandise
Une femme consulte le père Noël pour réclamer: son mâle ronfle, si ce n'est pour demander au réveil: «Quand est-ce qu'on mange?». Le père Noël propose de l'échanger contre son frère (décembre 2005: be-TV).
Une certaine image des femmes
Là où les stéréotypes de notre société semblent les plus présents, c'est au niveau de l'image de «la» femme. Il n'est donc pas étonnant que la publicité les utilisent dès qu'elle peuvent, les renforçant.
Ces stéréotypes contaminent même les publicités gouvernementales. En juin 2011, l'Éducation nationale française commettait ces deux affichent:
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Mais l'Union européenne a fait pire, en mettant en scène trois victimes de la mode pour – semble-il – pousser les filles à étudier les sciences. Mais le seul à regarder dans un microscope est un homme, les jeunes femmes n'ayant droit qu'au rouge à lèvre, hauts-talons, habillement «sexy» et attitudes provoquantes pour faire valoir leurs droits: jamais communication gouvernementale ne fut plus maladroite. Il est temps que les gouvernements arrêtent de faire confiance aux agences de publicité, dont les références sont toujours ringardes et réactionnaires.
La femme comme ménagère
Dans une publicité gouvernementale en faveur des économies d'énergie, le papa déclare: «Les enfants, sortez de votre bain, maman va faire la vaisselle». Dans toute déclinaison d'une publicité pour des sauces, c'est une femme qui crie «À taaable!».
…comme objet sexuel
Vous constatez certainement cela tous les jours, et pas seulement pour la lingerie et les parfums… Voir aussi, par exemple le site ADA.
…tournée vers le paraître
Avec le Salon Batibouw 2015 (du 26 févrer au 8 mars) revient une des publicités les plus sexistes (et qui passe même sur la radio du service public, la RTBF). Elle met en scène une fille qui réclame un dressing dans sa chambre, un fils qui voudrait un studio dans le garage, et une femme qui veut investir dans une nouvelle salle de bain. Le paraître pour les femmes, l'action pour les hommes: c'est le père qui emmènera sa famille au salon, probablement parce que c'est lui qui conduit et qui paie…
…ou comme chasseresse
dotée d'une grande endurance à la marche, au regard perçant pour mieux répérer ses victimes, à savoir… les soldes (SNCB, janvier 2013).
…ou comme un être qui aspire à la sécurité
La banque Fortis (février 2007) pose la question L'épargne sans risque, une affaire de femmes? Question purement rhétorique car elle poursuit «Pour nous les femmes, c'est surtout la sécurité qui importe en matière d'argent…»
Les hommes, par contre, préfèreraient l'investissement audacieux, et attendent que leur banque «fournisse des chiffres concrets.», parce que «C'est surtout le rendement qui importe!»
et simplement une affirmation de la hiérarchie
Dans une série de publicité pour une banque, le directeur d'une institution concurrente appelle systématiquement sa subalterne «mon petit» (décembre 2005: Ethias).
…mais de toute façon, «la» femme semble ne pas aimer pas la technique
Le message est outrancier dans la campagne pécéphobie. Plus subtiles, quelques publicités pour les indépendants exploitent les stéréotypes de l'homme technicien et de la femme relationnelle:
- L'homme: "Holà… encore une taxe!" – La femme: "Alors… chez toi, ou chez moi?"
- L'homme: "Internet ne va plus" – La femme: "Merci, un bouquet de tulipes!"
Mais finalement, la publicité c'est surtout…
…sciant
Peugeot (début février) nous offre un gargarisme de 10 secondes avec leurs «lââââ… …âââârges conditions». Il y a des publicitaires à qui on botterait volontiers le derrière.
Et encore…
Le miroir aux alouettes
Dans la séduction mise en oeuvre dans la publicité, l'irrationnel n'est pas rare, soit sous forme simple «Devenez scandaleusement riche» (Loterie nationale) soit plus sophistiquée: «Vous pourrez prendre des risques en toute sécurité». Comment? Vous vous êtes bien sûr rendu compte de la contradiction? Bravo, vous faites partie des happy fews vraiment ciblés par la réclame.
Les affirmation gratuites
Selon l'accroche de l'émission Tous à table du 15 novembre 2008 à la radio de service public RTBF, «L'événement est toujours très attendu des amateurs de vin puisque ce troisième jeudi de novembre, à minuit commence la Saint Beaujolais, un rituel planétaire.» Déjà que la logique de cette phrase soit assez bancale (c'est le rituel du troisième jeudi de novembre qui serait l'explication de l'attente des amateurs de vin?) «Le beaujolais nouveau est arrivé» est-elle une opération marketing ou est-elle née de l'opportunité de producteurs? La question n'est pas tranchée. Et, tout compte fait, connaissez-vous beaucoup d'amateurs de vin qui soient amateurs de beaujolais-nouveau-au-goût-de-banane?
La publicité cachée: le «placement de produits»
Pour chaque publicité déclarée, d'autres sont bien moins apparentes, comme l'introduction de produits de marque (vêtements, meubles, boissons, véhicules, gadget électronique…) dans les scénarios de spots, clips ou films; la quote-part des annonceurs indirects fait évidemment partie du budget du spot, clip ou films…