Le hasard, mal compris et mal aimé
«LE hasard n'est que la mesure de notre ignorance.» C'est ce que déclarait Henri Poincaré (1854-1912), dans Science et méthode (1908) au début du chapitre IV intitulé «Le hasard». Mais si vous lisez le chapitre jusqu'au bout, vous verrez que la phrase n'a en fait été énoncée que pour être réfutée. 1
Vous pourrez voir assez vite que l'illustre savant a même anticipé les conclusions du météorologue Edward Lorentz en invoquant la sensibilité des phénomènes aux conditions initiales, amenant la théorie du chaos déterministe. Le hasard n'est donc pas la mesure de notre incompréhension du monde, mais partie intégrante de notre compréhension du monde, sauf bien sûr pour les déterministes et les mystiques, qui ne peuvent accepter l'idée que le hasard existe.
Le hasard par l'exemple
Les exemples ci-après sont déterminés en langage javascript, qui possède une fonction dite pseudo-aléatoire. Bien qu'on ne puisse affirmer qu'elle agit exactement comme une pièce ou un dé bien équilibré, les résultats sont compatibles avec le calcul de probabilité. Si vous ne lui faites pas confiance, rien ne vous empêche d'utiliser ces outils traditionnels.
Pile ou face
Lorsqu'on tire à pile ou face avec une pièce équilibrée, on sait que la probabilité d'obtenir «pile» (ou «face») est de 0,5 (une «chance» sur deux). Après un certain nombre de tirs, les quantités de «piles» et de «faces» devraient normalement s'équilibrer.
= ° et *
Certaines personnes en concluent qu'après quelques «pile» qui se suivent, il y a plus de probabilité d'obtenir un «face», puisqu'au final «les résultats doivent s'équilibrer». Mais la pièce (ou le Cosmos) ne retient pas les coups précédents, et la probabilité à chaque tir reste de 0,5 pour «pile» comme pour «face», quels que soient les résultats précédents.
C'est ce que montre le tableau suivant. Il y a a peu près une moitié de «pile» esseulés, l'autre moitié étant divisée en deux: une moitié de chaînes de deux «piles», l'autre de chaînes plus longues. Ce qui veut dire qu'à chaque «pile», la probabilité de continuer la série ou de l'interrompre est équivalente. Cinq «pile» en suivant ne favorisent pas une «face».
Exemple avec dix millions de tirs:
Le dé à six faces
De la même manière, nous savons bien que, tiré un assez grand nombre de fois au hasard, un dé à six faces affichera environ une fois sur six chacun des nombres 1, 2, 3, 4, 5 et 6. Quant à savoir dans quel ordre apparaîtront ces six chiffres, c'est une autre affaire. La probabilité qu'un paquet de six résultats possède chacun des six chiffres est par exemple très faible, en tout cas inférieure à 0,1 (un dixième), en langage courant: moins «d'une chance sur dix» 2.
= x 1 • x 2 • x 3 • x 4 • x 5 • x 6
Il ne faut donc pas se faire trop d'idées préconçues sur le hasard et les probabilités.
Le nuage de points
Si vous n'êtes pas habitué au hasard, vous trouverez probablement l'image de droite plus conforme que celle de gauche à une disposition au hasard de dix points dans un carré. Elle est pourtant peu probable dans les faits, et l'image de gauche, construite au hasard, affichera beaucoup plus de particularités: alignement(s), serpentin(s), symétrie, point(s) isolé(s), concentration(s), figures répétées… Ces formes que l'on estime peu probables mais qui se succèdent est peut-être à l'origine de la pensée qui nie le hasard: des coïncidences troublantes à l'origine des mythes astrologiques.
Vous pouvez modifier le dessin de gauche, en cliquant sur les boutons – ou le +, qui modifient le nombre de points (de 3 à 99), ou sur le bouton du centre (affichant le nombre), qui redessine au hasard le même nombre de points.
Notes
1. La citation est également attribuée à Alfred Capus (1858-1922), qui a remplacé Henri Poincaré au fauteuil 24 de l’Académie française. Il ne semble pourtant pas que ce soit à l’occasion de l’éloge de son prédécesseur que le rédacteur en chef du Figaro a été rechercher ladite pensée. Le mathématicien Émile Borel a écrit un livre en 1914, Le hasard, où il aurait développé cette idée.
2. La probabilité pour qu’un dé tombe sur n’importe quelle des six valeurs est totale, à savoir 1, la probabilité pour que le second jet donne une autre valeur est de 5/6, le troisième jet de 4/6, le quatrième de 3/6, le cinquième de 2/6 et le dernier de 1/6. La condition simultanée pour ces six événement est la multiplication de ces probabilités: 1 * 5/6 * 4/6 * 3/6 * 2/6 * 1/6, soit ≈0,015432, ce qui signifie que la probabilité d’obtenir des chiffres différents dans un jet de six dés est de moins de 2%!
La probabilité inverse pour six tirs de compter des valeurs égales est de ≈0,984568. N’avoir aucun paquet de six résultats contenant chacune des six valeurs est ce nombre exposant 6, soit ≈0,910907. À l’inverse, obtenir au moins un paquet comportant les six valeurs est donc de ≈0,089093 dans l’exemple ci-dessus.