La monarchie belge

LE roi des Belges n'est pas assimilable à un chef d'État sous régime présidentiel comme en France depuis la Ve république, lorsque De Gaulle a singé à son profit le système des États-Unis d'Amérique. Le monarque belge a plutôt des fonctions représentatives. En temps de paix, ses prérogatives sont la désignation d'un formateur de gouvernement, la promulgation des lois (qu'il est tenu de signer) et les discours lors de la fête nationale du 21 juillet et la veille de Noël (un stigmate du catholicisme), discours plus personnels que celui de la reine d'Angleterre.

Léopold Ier (1790-1865, roi en 1831)

Léopold, prince de Saxe-Cobourg, devenu citoyen britannique après avoir combattu Napoléon, aurait pu être prince consort de Charlotte de Galles, héritière de la couronne d'Angleterre, mais elle mourut en couches en 1817. Après les événements de 1830, les États-Généraux de Belgique, sous la houlette de la Grande-Bretagne, se chercha un roi, et il se proposa à la conférence de Londres (1831), qui accepta. C'est d'ailleurs le jour de prestation de son serment de chef d'État constitutionnel, le 21 juillet 1931, qui est resté le jour de la fête nationale belge.

Sa notoriété lui vient d'avoir défendu l'État tout neuf de Belgique menacé par les Hollandais qui rêvaient de la reconquérir (prise d'Anvers en 1832), notamment en épousant en 1832 Louise d'Orléans (1812-1850, fille aînée de Louis Philippe, connue en Belgique sous le nom de Louise-Marie). Homme d'affaire anglais, on lui doit l'industrialisation précoce de la Belgique, dont la ligne de chemin de fer Bruxelles-Malines est un exemple.

Sa fille cadette Charlotte (1840-1927) fut mariée en 1857 à Maximilien (1832-1867), frère de François Joseph d'Autriche (1830-1916), à qui Napoléon III (1852-1870) offrit la couronne impériale du Mexique en 1863, mais sans trop le soutenir. Fusillé sous la présidence de Benito Juárez (1806-1872), sa femme sombra dans une longue mélancolie.

Léopold II (1835-1909, roi en 1865)

Fils aîné du précédent, il poursuit le concept de royauté d'affaires. Il épouse Marie-Henriette d'Autriche en 1853 mais en préféra bien d'autres, qui ne furent selon les plus monarchistes et catholiques que des couvertures pour traiter ses affaires plus tranquillement.

Ayant payé Stanley de 1874 à 1884 pour explorer le fleuve Congo et lui rapporter une carte de la région, il se fit personnellement attribuer, à travers une société-écran, plus de 2 millions de km² par le Congrès de Berlin de 1885. Après la dénonciation du caractère particulièrement inhumain de la colonisation léopoldienne, dont le fameux «caoutchouc rouge», le monarque lègue son territoire à la Belgique, qui l'accepte en 1908.

En Belgique, il est connu comme roi bâtisseur, traçant la monumentale avenue Louise pour rejoindre son Bois de la Cambre et écrasant le quartier populaire de la Marolle par un ubuesque Palais de Justice commencé par Poelaert.

Albert I (1875-1934, roi en 1909)

Neveu du précédent, il est le roi belge qui fut le moins critiqué. Il ne capitula pas en 1914 et fut présent sur l'Yser avec son épouse, Élisabeth de Bavière, acquérant ainsi le surnom de roi-chevalier. C'est sous son règne que le suffrage universel mâle fut institué et que les Flamands, majoritaires, obtinrent la pleine reconnaissance d'une langue plus proche de la leur: le néerlandais.

Ce roi célébré connut en outre une fin tragique: grand sportif, il est mort dans un accident d'escalade, ce qui éveilla bien entendu de grands soupçons d'assassinat de la part de ceux qui sont persuadés qu'«on ne nous dit pas tout». Le souvenir de la reine est réactualisé par le Concours Reine Élisabeth – d'abord appelé du nom du violoniste Eugène Ysaÿe (1858-1931) – pour le violon et le piano ; d'autres instruments les ont maintenant rejoint.

Léopold III (1901-1983, roi en 1934)

Fils du précédent, il prit ses fonctions dans une crise économique et politique difficile. Il fut marié en 1926 à Astrid de Suède, qui meurt en 1935 dans un accident de voiture.

Après l'invasion du 10 mai 1940, il capitule le 28, se considérant prisonnier dans son propre château, mais son mariage en 1941 avec Liliane Baels fut très mal pris par la population en ces temps d'occupation. Emmené par les Allemands lors de la libération du pays (août 1944), le Parlement nomma son frère, le prince Charles (1903-1983), régent.

Libéré en 1945, Léopold s'installa en Suisse avec sa famille. Au printemps 1950, une consultation populaire (72% de «oui» en Flandre mais seulement 58% en Wallonie où trois provinces sur cinq affichent une majorité de «non») lui permet de revenir, provoquant une insurrection dans quelques villes wallonnes, et quelques morts. Il préfère abdiquer en faveur de son fils Baudouin.

Baudouin (1930-1993, roi en 1950)

Fils aîné du précédent, son règne commence dans la crise de la royauté héritée de son père. Il se marie avec Fabiola de Mora y Aragon en 1960. Il restera dans les mémoires pour avoir refusé de signer la loi sur l'avortement en 1990 par «objection de conscience». Ce refus est un fait inédit en Belgique depuis 1830, malgré l'autoritarisme de la plupart des souverains précédents. Le peuple belge ne lui a pas trop tenu rigueur, le couple royal étant resté stérile, et le gouvernement de coalition chrétienne-socialiste ayant aussitôt promulgué la loi.

Baudouin a donc démontré l'inutilité constitutionnelle de la monarchie à condition de constater l'incapacité de régner du roi, normalement limitée à la folie ou à sa détention par l'ennemi. La longueur de son règne (43 ans) et sa mort durant les vacances estivales ont donné lieu à des débordements quelque peu hystériques – il a même été question de le béatifier.

Albert II (°1934, roi de 1993 à 2013)

Frère cadet du précédent, il est le roi que personne n'attendait, bien que la Constitution prévoie sans équivoque que, sans héritier direct, le titre et la fonction soient transmis au collatéral le plus proche. Premier VRP de l'État sous le règne de Baudouin, Albert était certainement mieux préparé que son fils de 33 ans pour assumer sa fonction. Il est le seul roi à avoir abdiqué sans contrainte politique.

Moins coincé que son frère, il a admis ses «difficultés de couple» lors de la révélation de l'existence d'une fille «naturelle» en Angleterre, Delphine Boël, lors d'un de ses traditionnels messages royaux à la veille de la fête nationale et de Noël. Mais comme son prédécesseur, il semble proche du revival catholique.

Philippe (°1960, roi en 2013)

Il devient roi à l'abdication de son père Albert II, dans le contexte d'une Flandre politique qui commence à rêver à l'indépendance républicaine et d'une Wallonie qui craint l'éclatement du pays et s'accroche à l'idée d'une monarchie garante de l'unité. Au delà de l'aspect caricatural de cette présentation, quelques décennies ont suffit pour renverser la tendance du référendum de 1950 (72% pour et 28% contre en Flandre, plus catholique ; 42% pour et 58% contre en Wallonie, plus socialiste : les deux provinces les plus habitées et ouvrières, le Hainaut et Liège, ont eu une majorité de «contre»).

La succession

La Constitution initiale prévoyait que la succession aille au fils aîné ou, à défaut, à une branche collatérale. Europe oblige, la succession est maintenant ouverte aux femmes depuis la révision de la Constitution de 1994. Élisabeth (°2001), aînée de Philippe, devrait selon l'ordre des choses être la prochaine souveraine – si toutefois l'institution perdure.

Curieusement, le premier article de la Déclaration des Droits de l'Homme n'a pas encore eu d'effet sur la capacité universelle théorique de devenir roi en Belgique, comme c'est la cas en France.