Balivernes démontées
CERTAINS fumistes donnent parfois des explications vaseuses à des phénomènes hasardeux. Apprendre à réfléchir permet de se rendre compte que certains n’ont absolument rien à dire.
Révision en mai 2020
Sacs d’argent - Vendredi 13 - PC télépathe
↑Les «sacs d’argent»
Le mois de juillet 2011 comprenait cinq vendredis, samedis et dimanches, ce qui selon une chaîne de mail, est un présage favorable appelé «les sacs d’argent» par les chinois, configuration qui n’arriverait qu’une fois tous les 623 années.
L’explication qui suit vaut pour le calendrier occidental, adopté par la Chine en 1912: la tradition n’est donc pas très ancienne. Mais il est difficile de la faire remonter au calendrier luni-solaire: une lunaison variant de 29 jours, 6 heures et demie à 29 jours et 20 heures, aucun mois lunaire ne peut totaliser 31 jours. Par ailleurs, avant la République, les chinois n’utilisaient pas la semaine.
Logiquement, tout mois de 31 jours où le 1er tombe un vendredi contient un cinquième vendredi (le 29), un cinquième samedi (le 30) et un cinquième dimanche (le 31). Tenant compte du fait que le premier du mois est en moyenne une fois sur sept un vendredi, et qu’il y a sept mois de 31 jours dans l’année, une année compte en moyenne un fabuleux mois des «sacs d’argent».
Le XXIe siècle (de 2001 à 2100) contient 99 «sacs d’argent», ce qui est un résultat très plausible: si vous tirez six cent fois un dé à six faces, il est très possible que vous n’obtiendrez pas exactement cent «six».
2002 mars 2003 août 2004 oct. 2005 juill. 2006 déc. 2008 août 2009 mai 2010 janv. 2010 oct. 2011 juill. 2013 mars |
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2069 mars 2070 août 2071 mai 2072 janv. 2072 juill. 2073 déc. 2075 mars 2076 mai 2077 janv. 2077 oct. 2078 juill. |
2079 déc. 2080 mars 2081 août 2082 mai 2083 janv. 2083 oct. 2084 déc. 2086 mars 2087 août 2088 oct. 2089 juill. |
2090 déc. 2092 août 2093 mai 2094 janv. 2094 oct. 2095 juill. 2097 mars 2098 août 2099 mai 2100 janv. 2100 oct. |
Ces dates ont été calculées par un script python:
#! /usr/bin/python3 import time # module qui traite les dates # seuls les mois 1, 3, 5, 7, 8, 10 et 12 sont nécessaires (31 jours): mois=["", "janv.", "", "mars", "", "mai", "", "juill.", "août", "", "oct.", "", "déc."] for i in range(2001, 2101): # cent années du XXIe siècle for j in (1, 3, 5, 7, 8, 10, 12): first=time.strptime("%4d.%d.%d" %(i, j, 1), "%Y.%m.%d")[6] # jour de la semaine du 1er du mois if first==4: # 0= lundi, 4= vendredi print("%d %s" %(i, mois[j]))
↑ Le vendredi 13
Le vendredi 13 mai 1994, le responsable d’un Dictionnaire des symboles (Laffont, nombreuses rééditions), probablement Alain Gheerbrant (1920-2013), Jean Chevalier (1906-1993) étant à l'époque décédé, expliquait dans une émission de la RTBF (radio officielle belge francophone) pourquoi le vendredi treize était particulièrement important, affirmant que la dernière cène avait eu lieu un vendredi et qu’ils étaient treize à table : Jésus et ses douze disciples.
Pourtant, selon la tradition chrétienne occidentale, Jésus est mort le vendredi vers 15h, il a été cueilli, jugé et condamné durant la nuit, la dernière cène, selon les évangiles, a donc eu lieu avant vendredi.
Cette explication ne vaudra déjà pas pour les personnes persuadées que le vendredi 13 leur est favorable (voir les loteries spéciales ce jour-là). De plus, l’Espagne et l’Amérique latine craignent davantage le mardi treize, et l’Italie se défie davantage du 17 (tous des pays à grande tradition catholique !)… ce que ce spécialiste semblait ignorer.
Mais notre ésotéricien ajoute une explication mathématique à la spécificité du nombre 13: lui et son inverse, 31, ont des carrés inverses : 169 et 961! Mais encore une fois, l’érudition de l’auteur est bien superficielle : c’est également vrai pour les nombres 12 et 21, avec leurs carrés 144 et 441 (oublions le 11 qui est son propre inverse).
L’explication est assez simple si on se souvient que (a+b)²=a²+2ab+b². Pour 12² et 21² :
100 (102)
40 (2.10.2)
4 (22)
144 (122) ↔
400 (202)
40 (2.20.1)
1 (12)
441 (212)
Chaque composant est simplement reporté sur le résultat de la somme. Ce n’est plus le cas pour 232 et 322, où le double produit 2.20.3 déborde sur le rang des centaines.
400 (202)
120 (2.20.3)
9 (32)
529 (232) ↔
900 (302)
120 (2.30.2)
4 (22)
1024 (322)
Pour les nombres à trois chiffres, 102 et 103 fonctionnent également, ainsi que 112, 113 et 122 (et leurs «miroirs»), mais l’explication est plus complexe : (a+b+c)2= a2+b2+c2+2ab+2ac+2bc, et pire encore pour les nombres à quatre chiffres, 1002, 1003, 1011, 1012, 1013, 1021, 1022, 1031, 1102, 1103, 1112, 1113, 1121, 1122, 1202, 1212, 2012 et 2022. Constatons simplement que dans les calculs des carrés inversibles, aucune addition ne reporte un résultat sur le rang de gauche.
1121
x1121
1121
2242
1121
1121
1256641
↔ 1211
x1211
1211
1211
2422
1211
1466521
Ces nombres ont été déterminés par ce petit programme en python (la première ligne concerne les systèmes UNIX, il faut encore rendre le fichier exécutable) :
#! /usr/bin/python3 listenoire=[] # les nombres inversés ne seront plus à calculer def inverse(nbr) : # inverse un nombre en passant par une chaine et une liste return int("".join(reversed(str(nbr)))) for i in range(10, 100000) : ii=inverse(i) if i**2==inverse(ii**2) and i!=ii : # en cas de carrés inversés et rejet des nombres miroirs if i not in listenoire : # évite les doublons print("%d (%d) %d (%d)" %(i, i**2, ii, ii**2)) listenoire+=[ii] # ajoute l’inverse à la liste noire
…ce qui nous donne encore les nombres (et leurs inverses) :
10002, 10003, 10011, 10012, 10013, 10021, 10022, 10031, 10102, 10103, 10111, 10112, 10113, 10121, 10122, 10202, 10211, 10212, 10221, 11002, 11003, 11012, 11013, 11021, 11022, 11031, 11102, 11103, 11112, 11113, 11121, 11122, 11202, 12002, 12012, 12102, 12202, 20012, 20022, 20112 et 20122.
Le cas du treize n’étant pas isolé, cela affaiblit l’argument mathématicoïde.
Lettre à la RTBF
Recto
Bruxelles, le samedi 14 mai 1994
Façon d’écrire, façon de parler
RTBF Centre de Production de Mons
Esplanade Charlotte de Lorraine, 15
7000 Mons
Madame, Monsieur,
J’ai écouté votre émission hier. Je peux imaginer qu’on ait envie, un vendredi 13, de faire un petit c(â)lin d’œil à la superstition. Songeons néanmoins qu’un petit malin en a profité pour vendre son livre. Malin, mais pas très informé :
- Ce monsieur affirme qu’il n’y a pas beaucoup de vendredis 13 dans l’année. En fait une année peut en compter jusqu’à 3. C’est notamment le cas des années non-bissextiles dont le 13 février est un vendredi. Mais il ne faut pas être grand clerc pour savoir qu’il y a une probabilité sur sept, chaque mois, que le 13 tombe un vendredi ou tel autre jour de la semaine.
- Selon l’Evangile, Jésus est mort un vendredi. En Espagne, où l’on maintient plus qu’ici la tradition chrétienne, le jour critique est le mardi 13. Ce monsieur, qui a écrit un livre entier sur la chance, ne le sait pas ou le cache.
- Le 13 est un nombre magique : 13 au carré égale 169, et son miroir, 31, au carré égale 961, soit le miroir de 169. Notez que cela fonctionne aussi pour 12, 102 et bien d’autres (voir annexe).
Il se passe chaque jour des choses inédites. Mais on y fera surtout attention un vendredi 13 (même rétrospectivement, Madame l’animatrice). Chose inédite ce samedi 14 : pour la première fois depuis 5 ans et 5 mois que je vis dans mon appartement actuel, mes voisins arrangent leur maison, avec coups de marteau et grincements de disqueuse. Cela aurait pu arriver hier, non? Il ne s’est rien passé ce jour-là, sinon la chance de ne pas avoir été importuné par le bruit, peut-on me répondre. Mais le fait-même qu’il ne me soit absolument rien arrivé de spécial ce vendredi 13 ne constitue-t-il pas justement quelque chose de spécial ? Les croyants au paranormal ont souvent ce genre de réponse.
De plus qu’est-ce que la chance? Le coureur automobile Thierry Boutsen a-t-il eu la chance ou la malchance de ne pas trouver cette année de volant en Formule 1 ?
Avez-vous déjà pensé à interviewer des sceptiques ? Il en est de passionnants, comme Henri Broch, Docteur ès Sciences, qui a écrit un ouvrage général sur Le Paranormal (Seuil, 1985), et Jean-Pierre Adam, architecte du CNRS, qui a écrit "Le passé recomposé" (Seuil, 1989), démontant les interprétations délirantes issues d’une méconnaissance de l’archéologie.
En espérant ne pas vous avoir ennuyés, je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Verso
À propos des nombres «magiques»…
Je me suis amusé à programmer mon Atari à trouver des nombres dont le carré de leur nombre-miroir est le nombre-miroir de leur carré. Il m’en a sorti 66, limite imposée par la grandeur de leurs carrés. Je vous invite à prendre votre calculette et à en vérifier quelques-uns :
12, 13, 102, 103, 112, 113, 122, 1002, 1003, 1011, 1012, 1013, 1021, 1022, 1031, 1102, 1103, 1112, 1113, 1121, 1122, 1202, 1212, 2012, 2022, 10002, 10003, 10011, 10012, 10013, 10021, 10022, 10031, 10102, 10103, 10111, 10112, 10113, 10121, 10122, 10202, 10211, 10212, 10221, 11002, 11003, 11012, 11013, 11021, 11022, 11031, 11102, 11103, 11112, 11113, 11121, 11122, 11202, 12002, 12012, 12102, 12202, 20012, 20022, 20112, 20122…
Mais on peut en trouver d’autres :
100.0022 vaut 10.000.400.004 -- 1.000.0022 vaut 1.000.004.000.004
200.0012 vaut 40.000.400.001 -- 2.000.0012 vaut 4.000.004.000.001
etc…
L’explication mathématique, qui ne prétend pas au titre de démonstration, passe par les produits remarquables :
(a+b)² = a² + 2ab + b²
donc :
(10+3)² vaut (30+1)² vaut 100 a² (10*10) 900 a² (30*30) + 60 2ab (2*10*3) + 60 2ab (2*30*1) + 9 b² (3*3) + 1 b² (1*1) =169 =961
Les chiffres composant les sous-produits se retrouvent dans le total, et ne sont pas altérés (addition avec des zéros). C’est pour cela qu’il faut au départ un nombre qui ne contient pas de chiffres supérieurs à 3 (pour que les sous-produits ne comptent pas plus d’un chiffre supérieur à zéro). Notez cependant que tous les nombres ne contenant que des chiffres inférieurs à 4 ne fonctionnent pas : dans le cas de nombre à deux chiffres, le double produit 2ab ne peut pas être supérieur à 100, ce qui explique que les nombres 23 et 32 ne sont pas «magiques» (dans ce cas, 2ab vaut 2*20*3 ou 2*30*2, soit 120).
C’est évidemment plus difficile à montrer pour un nombre comprenant 3 chiffres non nuls, car la formule vaut alors :
(a+b+c)² = a² + b² + c² + 2ab + 2ac + 2bc
Il est en général payant de sortir de son chapeau (et les tenants du paranormal ne s’en privent pas) une assertion magique (sans guillemets) pour frapper les esprits. Seul un mathématicien aurait pu répondre (être convaincant?) à ce genre de mystification. Entre-temps la chose semble prouvée. Après tout, ce monsieur a écrit tout un livre, il a trouvé un éditeur, il connaît donc son sujet. J’espère vous avoir montré que ce n’était pas sûr.
Suites
Je n’ai pas reçu de réponse à cette lettre… J’aurais dû envoyer une copie à l’Administrateur général.
Sur le même thème…
Wikipedia reprend un article pseudo-scientifique du Figaro (11 mars 2009) qui pointe un plus grand nombre de vendredis 13 que d’autres jours de la semaine qui tombent un 13 :
Tout d’abord, le vendredi 13, en faisant abstraction des superstitions, est-il particulier ? La réponse est oui. Car les mathématiques appliquées au calendrier indiquent que le 13 du mois tombe un tout petit peu plus fréquemment un vendredi que n’importe quel jour de la semaine. Sur 4 000 ans, il y a 6 880 vendredis 13 contre 6840 jeudis 13 (ou 6850 lundis ou mardis 13).
L’auteur extrapole le cycle de 1600-1999 aux 9 précédents, ce qu’il ne peut pas faire puisque cela ne tient pas compte de la réforme grégorienne de 1582, qu’il évoque pourtant, ni de la réforme julienne den –46. En ne considérant que de les 400 dernières années, l’auteur aurait alors dû admettre que si le vendredi 13 revient 688 fois, le mercredi 13 et le dimanche 13 reviennent 687 fois. La différence est donc vraiment très faible. Si l'on considère le nombre de fois que chaque jour de la semaine est un 13 (du lundi au dimanche) sur un cycle grégorien de 400 années, on constate que le vendredi revient une fois de plus que le mercredi et le dimanche, deux fois de plus que les lundi et mardis, et quatre fois de plus que les jeudis et samedis (dans ce dernier cas, la différence n’est que de 0,585%… :
685 - 685 - 687 - 684 - 688 - 684 - 687
différence bien plus faible qu’un tirage au hasard (voir programme ci-dessous) :
670 - 643 - 700 - 704 - 676 - 692 - 715 706 - 701 - 677 - 675 - 736 - 684 - 621 676 - 638 - 667 - 690 - 689 - 693 - 747 680 - 654 - 700 - 666 - 751 - 667 - 682 659 - 705 - 656 - 699 - 719 - 662 - 700 659 - 662 - 700 - 725 - 655 - 717 - 682 674 - 649 - 682 - 676 - 713 - 717 - 689 705 - 697 - 650 - 678 - 708 - 677 - 685 682 - 719 - 705 - 623 - 673 - 692 - 706 700 - 665 - 697 - 714 - 697 - 685 - 642
Nous voyons que, dans cette simulation, les occurrences vont de 621 (dimanche de la deuxième ligne) à 747 (dimanche de la quatrième ligne). Le script python ayant sorti ces deux dernier tableau est :
#! /usr/bin/python3 import random, time # modules qui traitent du hasard et des dates cpt=[0,0,0,0,0,0,0] for i in range(1600, 2000) : for j in range(1, 13) : first=time.strptime("%04d.%d.%d" %(i, j, 13), "%Y.%m.%d")[6] # jour de la semaine du 13 du mois cpt[first]+=1 print(cpt) for i in range(10) : # dix exemples d’incrémentation au hasard cpt=[0,0,0,0,0,0,0] # semaine for j in range(4800) : # 400x12 mois sur un cycle grégorien cpt[random.randrange(7)]+=1 # ajout au hasard d’un jour tombant sur un 13 print(cpt)
Note : le calendrier julien prévoyait qu’une année sur quatre était bissextile. Le calendrier grégorien améliore l’adéquation d'une année civile de 365,25 jours avec l’année solaire de 365,242 jours en déclarant non bissextile les années fermant un siècle (comme 1900) sauf si cette année est divisible par 400, comme en 2000. Ces 400 années font 100 x(365 x4 +1) -3 jours, à savoir 146 097, divisible par 7 : il y a donc à chaque cycle une accentuation des différences, et c’est pour cela que l’auteur de l’article du Figaro préfère donner les chiffres sur 10 cycles. Mais il n’avait pas le droit de décider que les cycles avant 1600 étaient pareils, puisqu’au jeudi 4 octobre 1582 a succédé le vendredi 15 octobre 1582, ce qui décalé le cycle de trois jours (dix jours moins les sept d’une semaine), et que ce cycle donne des résultats différents puisque la façon de considérer les années bissextiles était différente.
Cet article était signé Jean-Luc Nothias, chroniqueur scientifique au Figaro.