L'évangile: les débuts
La prédication
Après les généalogies de Jésus, l'annonciation et sa naissance, connues de Matthieu et Luc seuls, et un épisode à douze ans raconté par Luc, rien n'a été écrit sur la vie de Jésus dans les quatre évangiles: on sait seulement qu'il croissait en sagesse, en taille et en grâce (Lc 2:52). Ces longues années qui séparent la naissance et le début de sa prédication à environ trente ans (Lc 3:23) ont laissé un vide qui a permis toutes les aimables hypothèses comme l'initiation dans des ashrams en Inde, que nous laisserons aux adeptes du nouvel-âge.
La vie publique est censée avoir duré trois années, faite de prédication et de miracles. Il ne sera pas possible de décrire l'ensemble de cette vie, mais certains fait sont néanmoins intéressants. Ce n'est qu'à ce moment qu'intervient le synoptique Marc, mais également Jean, le quatrième évangéliste.
Le baptême
C'est par une situation politique précise que débute la vie publique de Jésus: la quinzième année du principat (en 12) de Tibère César (Lc 3:1-2), c'est-à-dire en 26 ou 27, ce qui nous donne une année de naissance autour de ~4 dans l'hypothèse que «Jésus avait environ trente ans lorsqu'il commença son ministère» (Lc 3:23).
C'est à ce moment que l'on retrouve Jean dit le Baptiste, le fils de Zacharie, baptisant avec de l'eau, prédisant que viendrait bientôt le Christ, qui baptiserait avec l'Esprit saint (Mc 1:8), soit dans l'Esprit saint et le feu (Mt 3:11, Lc 3:16). Jésus se fait néanmoins baptiser par Jean, avant que l'Esprit sous forme de colombe n'annonce que Jésus est le fils de Dieu (Mc 1:1-11, Mt 3:1-17, Lc 3:1-22).
Matthieu fait protester le baptiste – ce serait plutôt à Jésus de le baptiser (Mt 3:14) – mais raconte plus loin que le baptiste emprisonné fait envoyer ses disciples demander à Jésus s'il est vraiment «celui qui doit venir» (Mt 11:2-3).
L'incertitude du baptiste à l'égard de la messiannité de Jésus – Marc ne dit pas si Jean a reconnu Jésus avant l'annonce de sa divinité, l'évangéliste Jean affirme que le baptiste reconnaît Jésus à un prodige – peut s'expliquer si l'on se rappelle que seul Luc affirme que leurs mères Marie et Élisabth sont parentes (Lc 1:36).
Il semble peu logique qu'un Fils de Dieu et Dieu lui-même se fasse baptiser par un homme (initiation, purification?). Il est pourtant habile de faire reconnaître Jésus comme supérieur à Jean par le baptiste lui-même. Par ailleurs, cela permet à Jésus d'humblement se poser en homme, comme il lavera plus tard les pieds de ses apôtres (Jn 13:5-12).
Cela dit, on ne sait pas très bien qui est vraiment cette figure: Jésus affirme en vérité que Jean le baptiste est «cet Élie qui doit revenir» (Mt 11:14), et plus loin qu'Élie est déjà revenu (pour annoncer le Messie) mais que personne ne l'a reconnu (Mt 17:12, Mc 9:13), Matthieu précisant que Jésus veut parler du baptiste (Mt 17:12). Mais l'évangéliste Jean commence son récit par le témoignage de Jean le baptiste annonçant le Messie, précisant qu'il n'est pas lui-même Élie (Jn 1:21).
Marc prend juste le temps de dire que Jean le baptiste est ensuite livré (Mc 1:14), alors que Luc nous en donne la raison: Jean a été jeté en prison parce qu'il critiquait Hérode, entre autre à cause de la liaison qu'il entretenait avec sa belle-soeur Hérodiade (Lc 3:19-20). Cette explication est ensuite reprise dans la relation de la décapitation de Jean le baptiste. Pour avoir si bien dansé pour Hérode, celui-ci veut accorder une faveur à la fille d'Hérodiade (et donc sa nièce et belle-fille): elle demande la tête de Jean sur un plat. Le roi, attristé, la lui accorde néanmoins (Mt 14:1-11, Mc 6:16-29); Luc ne parle que de la décapitation de Jean par Hérode (Lc 9:9).
La tentation
Après son baptême, Jésus est emmené au désert, transporté par l'esprit saint (Lc 4:1) pour y être tenté par le diable durant 40 jours. Le diable lui propose de faire des miracles pour calmer sa faim, puis d'être retenu d'une chute dans le vide, et enfin lui demande de se prosterner devant lui pour posséder le monde (Mt 4:1-11, Lc 4:1-13). C'est l'occasion d'une joute verbale entre le tentateur et Jésus, à coup de citations bibliques.
Marc résume cet épisode en deux versets: «Et aussitôt, l'Esprit le pousse au désert. - Et il était dans le désert durant quarante jours, tenté par Satan. Et il était avec les bêtes sauvages, et les anges le servaient» (Mc 1:12-13).
Ce n'est qu'ensuite que nous apprenons chez Matthieu, en même temps que Jésus, que Jean le baptiste a été livré (Mt 4:12).
Le début de la prédication
Pour Matthieu, le début de la prédication est mené autour du repentir parce que le Royaume des Cieux est tout proche (Mt 4:17). Marc est pour une fois plus disert, ajoutant qu'il prêche en Galilée que le temps est accompli et qu'il faut se repentir et croire en l'évangile (Mc 4:1-2), qui, stricto sensu, n'est pas encore écrit.
Pour Luc, c'est dans les synagogues que Jésus prêche, glorifié par tous (Lc 4:13-15). C'est pourtant dans une synagogue qu'il se fâche avec son auditoire, lorsqu'il se dit oint par l'Esprit saint, alors qu'il n'est seulement né de Joseph. S'ensuit une joute verbale qui doit se terminer par sa précipitation du haut d'une falaise, mais il passe au milieu d'eux et les quitte (Lc 4:16-30).
Marc et Luc racontent encore qu'enseignant dans une synagogue à Capharnaüm, il chasse d'un possédé un esprit impur (qui l'a appelé le «nazarénien»), ce qui impressionne beaucoup le public et fait enfler la rumeur (Mc 1:21-28, Lc 4:31-37).
Le succès, la guérison de la fièvre et les premiers apôtres
Les synoptiques ne voient pas ces événements de la même manière.
Marc et Matthieu relatent le recrutement des premiers apôtres en cinq versets: Jésus voit les frères Simon et André en train de pêcher et les invite à devenir pêcheur d'hommes; il en fait de même avec les frères Jean et Jacques fils de Zébédée (Mc 1:16-20, Mt 4:18-22). Matthieu sait déjà que Simon est appelé Pierre.
Le récit de Luc est plus complexe: c'est parce qu'il est pressé par la foule que Jésus demande à des pêcheurs de pouvoir prendre place dans leur barque et de s'éloigner un peu de la rive pour prêcher. Il leur demande ensuite de lancer leurs filets. Alors que les pêcheurs n'avaient rien pris durant toute la nuit, les filets sont tellement remplis qu'ils doivent appeler d'autres Jean et Jacques à la rescousse. André n'est pas mentionné (Lc 5:1-11).
Pour Marc, Jésus vient ensuite en compagnie des quatre pêcheurs dans la maison de Simon pour guérir sa belle-mère de la fièvre par simple toucher (Mc 1:29-31). Matthieu place cet épisode bien plus loin (Mt 8:14-15) et précise qu'il s'agit de la maison de Pierre et André.
Luc, qui place l'épisode avant la rencontre des premiers apôtres (Lc 5:1-ca11), ne parle que d'un Simon, qui peut être Pierre mais qu'il n'a pas encore pu recruter; le fait que Jésus ait échappé à la foule en montant dans sa barque aurait été un fameux hasard. Par ailleurs, c'est par la menace que Jésus débarrasse la belle-mère de son démon (Lc 4:38-39)
Il s'ensuit des guérisons en série, toute la ville se pressant devant la porte (Mc 1:32-34, Lc 4:40-41)
Matthieu bouscule grandement les événements: après avoir choisi ses quatre apôtres, il est question du grand succès de Jésus qui se met alors à prêcher et à guérir tout genre de maux dans toute la Galilée, sa renommée atteignant même la Syrie, les foules le suivant en Judée et en Transjordanie (Mt 4:23-25). Suivent le long épisode concerne le béatitudes où il prêche à ses «disciples» (Mt 5:1-7:29), la guérison d'un lépreux et puis de l'enfant d'un centurion (Mt 8:1-14), où il n'est pas question des apôtres, avant d'épisode de la belle-mère de «Pierre» où il n'est fait mention d'aucun d'eux (8:14-15)
Béatitudes, malédictions, préceptes, le «Notre Père»
Jésus gravit la montagne avec ses disciples et promet le bonheur aux pauvres (en esprit pour Matthieu), aux affligés, aux affamés (de justice pour Matthieu), aux persécutés à cause de l'évangile (Lc 6:20-23); Matthieu ajoute encore parmi les bienheureux les doux, les miséricordieux, les coeurs purs et les artisans de paix (Mt 5:1-12).
Mais chez Luc, les malédictions font pendant aux béatitudes: malheur aux riches, aux repus, à ceux qui rient et dont on dit du bien (Lc 6:24-26). Matthieu prévient de son côté qu'insulter son frère devient un crime inexpiable, la pensée est déjà l'adultère, il est conseillé de se crever l'oeil et de se couper la main plutôt que de pécher (Mt 5:22-30).
Est ensuite prêchée une éthique de la grandeur: il faut aimer ceux qui vous haïssent, tendre l'autre joue, donner à son voleur, ne pas juger ni condamner; éthique néanmoins affaiblie par la réciprocité car ce n'est qu'en donnant qu'on recevra, et en ne jugeant point qu'on ne sera pas jugé (Lc 6:27-38, Mt 5:32-48). Cette section est une liste de préceptes où les répétitions ne sont pas rares.
C'est à cette occasion que Jésus enseigne comment prier avec ce qui deviendra le Notre Père: «Notre Père qui es dans les cieux, que ton Nom soit sanctifié, que ton Règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien. Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs. Et ne nous soumets pas à la tentation; mais délivre-nous du Mauvais» (Mt 6:9-13).
C'est par une demande expresse des apôtres à un tout autre moment que Luc le transmet: «Lorsque vous priez, dites: Père, que ton Nom soit sanctifié; que ton règne vienne; donne-nous chaque jour notre pain quotidien; et remets-nous nos péchés, car nous-mêmes remettons à quiconque nous doit; et ne nous soumets pas à la tentation.» (Lc 11:1-4)
Marc et Jean ignorent l'institution de cette prière, capitale chez les chrétiens.