Le mouvement perpétuel

IL existe sur Internet toute une série de petites vidéos qui montrent des dispositifs engendrant un mouvement perpétuel, le rêve pour un monde confronté aux problèmes de l'énergie, mais qui contrevient aux principes de la physique. Comment des bricoleurs arrivent-ils à réaliser ce que la science ne permet pas de croire ?

2019.05.24

La roue à balanciers non symétriques

Une des grandes idées du mouvement perpétuel se rattache à une roue chargée de poids qui se déplacent préférentiellement vers un côté, qui font que la roue est toujours plus lourde d'un côté, et tourne sans s'arrêter.

L'illustration ci-contre montre huit récipients cylindriques disposés uniformément au périmètre d'une roue, mais inclinées à 45 degrés par rapport aux rayon de la roue. Chaque récipent est à moitié rempli d'un liquide, qui bascule d'un côté où l'autre selon la position du récipient. La nature du liquide n'a pas d'influence sur le principe: il doit juste être plus lourd que l'air à atmosphère habituelle, ce qui est courant pour les liquides. D'autres systèmes utilisent des billes.

Sur l'illustration proposée, huit récipients sont en position 12h (haut), 1h30, 3h (à droite), 4h30, 6h (bas), 7h30, 9h (à gauche) et 10h30. En position «rose des vents», ce sont Nord (haut), NE, Est (droite), SE, Sud (bas), SO, Ouest (à gauche) et NO, mais rappelons que la roue se tient verticalement, c'est-à-dire sur le tranchant.

Lorsqu'on regarde le bilan des moments de force des centres de gravité des liquides de chaque récipients (la bouteille du haut est orientée NO-SE), on voit que les récipients horizontaux (notés «H», soit NO et SE, ou 10h30 et 4h30) s'équilibrent, de même que les récipients verticaux (notés «V», soit NE et SO, ou 1h30 et 7h30). Le récipient tout à fait à gauche (Ouest ou 9h) et celui tout à fait à droite (Est ou 3h) ont tous les deux un centre de gravité légèrement vers la gauche, ce qui rejoint l'idée principale des balanciers non symétriques. Cette force est néanmoins contrebalancée par celui du haut (Nord ou 12h) et celui du bas (Sud ou 6h) dont les centres de gravité sont légèrement décentrés vers la droite.

À la position indiquée sur le schéma, le bilan des moments de forces des huit liquides est nul. Un bonne façon de s'en assurer est de regrouper les quatre récipents de 0h à 4h30, où ceux 0h et 3h s'annulent et les quatre récipients de 6h à 10h30, où ceux de 6h et 9h s'annulent, tous les autres étant neutres.

On pourrait légitimement se demander si une autre inclinaison des récipents ne donnerait pas un bilan positif. La position à 67,5° (soit 3/4 de 90°) pour celui du haut verrait les forces des récipients s'équilibrer deux à deux (N-0h et NE-1h30, E-3h et SE-4h30…). C'est également le cas pour l'inclinaison initiale en positions intermédiaires à NNE-0h45, ENE-2h25, etc.

On pourrait encore se demander si un nombre impair de récipients n'annulerait pas ces effets de symétrie… mais le calcul est plus complexe. D'autre part, l'analyse n'a jusqu'ici pas tenu compte du mouvement, qui produit une (légère) force centrifuge, une inertie et des reflux dans les récipients, qui doivent perturber le système.

Il n'y a qu'à le tenter ! Il existe sur Internet un grand nombre de systèmes qui semblent fonctionner, mais la roue est souvent opaque, ou le système n'est pas filmé pendant un très long moment.

Voir Incroyables expériences sur Youtube (16min).

Variante électromagnétique

Une autre «démonstration» de la possibilité de développer une énergie presque gratuite mais surtout illimitée est la production d'électricité avec des aimants. Il existe sur Internet un montage avec un ventilateur de PC qui tourneraient indéfiniment avec la pose d'aimants sur les ailettes et aux quatre coins du cadre, dont un légèrement décalé: le moteur du ventilateur devient alors un alternateur.

Un autre est un simple bobinage autour d'un tore (aimanté ou non, ce n'est pas précisé) produisant un courant (continu ou alternatif ?) alimentant une ampoule. L'ingénieux bricoleur ne soucie pas du fait qu'un aimant ne peut induire de courant que s'il est mobile par rapport au bobinage, ni qu'un bobinage autour d'un noyau de fer doux ne peut produire un courant que si ce dernier est influencé par un champ magnétique alternatif.

Tant qu'on ne peut pas vérifier l'absence de toute induction magnétique extérieure au montage et qu'on ne mesure pas le courant produit sur le long terme, il est difficile de se prononcer sur la réalité du phénomène.

Voir Mr Bidouille sur Youtube (25min).

La physique évolue…

Rejeter d'emblée toute possibilité de mouvement perpétuel en invoquant le principe de conservation de l'énergie, qui affirme que l'énergie ne peut être créée à partir de rien, ne convaincra pas les croyants : tant d'évidences se sont révélées fausses. Néanmoins, il est peut-être plus judicieux de rappeler qu'il est difficile de méconnaître les principes de la thermodynamique, dont la conservation d'énergie, qui n'ont jamais été mis en défaut en mécanique classique. Par ailleurs, la probabilité qu'une expérience réalisée dans une arrière-cuisine puisse contredire ce qui se passe en physique est vraiment mince. En fait, peut-être que la séduction de ces manips vient également de ces pieds-de-nez à la «Big Science». Personne ne semble pourtant avoir gagné le concours Lépine avec un tel montage. Par ailleurs, aucun gadget de ce genre n'a jamais été mis en vente, alors qu'il y en a qui défient le sens commun, comme le pendule de Newton.

On peut donc douter de la réalité de ces phénomènes vus sur Internet, même sans penser de façon dogmatique que le mouvement perpétuel ne peut pas exister. La principale difficulté de l'affirmation «L'énergie presque tout à fait gratuite est une réalité» vient de la question suivante «Comment n'y a-t-on pas pensé plus tôt ?» Si des découvertes ont lieu, c'est parce que les scientifiques (certains en tout cas) sont des aventuriers capables de se remettre en question. Ce ne sont pas d'ingénieux bricoleurs qui ont trouvé la relativité ni la mécanique quantique, les deux pans de la physique moderne qui défient le plus le bon sens.

La chose qui choque le plus l'esprit critique est l'absence de mesure qui ressort de tous ces montages. Il ne s'agit pas seulement de mouvement perpétuel, mais d'un système qui produit une énergie capable de s'opposer aux forces de frottement (provenant du moyeu et de toute pièce mobile ou liquide agité qui doit finir par s'échauffer). Quelle puissance peut développer une roue améliorée avec ces récipients partiellement remplis d'eau ? Tout juste assez pour continuer à tourner (sans prendre de la vitesse) ou suffisamment pour produire un peu d'électricité ? Y a-t-il un pourcentage de remplissage optimal dans les bidons ?

Il semble s'agir surtout de révéler une curiosité (bien cachée) de la nature, avec une application politique tellement formidable (s'affranchir du pétrole ou du nucléaire) qu'elle semble libre de toute application pratique immédiate, comme le sont les capteurs solaires ou la pompe à chaleur.

Pourquoi ça marche…

Reformulons : comment expliquer la croyance au mouvement perpétuel ? C'est à rechercher dans la séduction d'une idée et son immunisation contre la critique. Lors de la crise pétrolière de 1973, on entendait parler du moteur à eau, dont les compagnies pétrolières auraient racheté les brevets pour garder leur monopole énergétique. Cette théorie du complot méconnaît néanmoins le fait que le dépôt d'un brevet implique sa publication détaillée et possède une durée limitée à 20 années : nous devrions maintenant rouler en voiture à eau au moins depuis deux décennies. Et en l'occurrence, une invention n'est brevetable que si elle est inédite, et l'idée d'un roue à balanciers non symétriques date de plusieurs siècles (Léonard de Vinci en avait déjà fait le croquis) : son utilisation n'est donc pas brevetable et donc tout à fait libre.

Il est difficile de connaître (toutes) les motivations des personnes qui montrent les bricolages à mouvement perpétuel sur Internet, esprit de canular ou flattage d'égo… mais il y en a au moins une très évidente : les auteurs de vidéos sont rétribués par la publicité, qui génère des bénéfices proportionnels au nombre de vues.