Les modes de scrutin

CETTE page traite de la façon dont les différents systèmes électoraux désignent les sièges. Comme vous le verrez, la majorité des électeurs ne parvient pas toujours à être la mieux représentée.

1. Scrutins majoritaires

1.1 Scrutins majoritaires à un tour
1.2 Scrutins majoritaires à deux tours

2. Scrutins proportionnels

2.1 Attribution aux meilleurs restes
2.2 Attribution aux meilleurs quotients
2.3 Variante Imperiali

3. Dispositions particulières

3.1 Circonscriptions multiples
3.2 Mix proportionnel/majoritaire
3.3 Seuil de représentativité

1. Les scrutins majoritaires

1.1 Scrutins majoritaires à un tour

Le scrutin majoritaire attribue le(s) siège(s) au candidat ou à la liste qui a obtenu le plus de voix. Dans le cas où plusieurs candidats ou listes participent, 23% des votes peuvent suffire à désigner la personne élue, si elle arrive en première position, les autres obtenant par exemple 21, 20, 17, 10 et 9%.

Aux élections présidentielles américaines, quasiment tous les États envoient l'ensemble de leurs représentants (les «grands électeurs») à la majorité des votants: à 537 voix près, Bush Junior a remporté en automne 2000 la totalité des 27 représentants de Floride.

Mauve Violet
État A350.000400.000
État B200.000250.000
État C300.000350.000
État D 300.000100.000
Total:1.150.0001.100.000

Dans un système majoritaire, la répartition non uniforme des électeurs fait qu'une majorité globale n'équivaut pas nécessairement à une majorité de représentants  : dans le tableau ci-contre, les États A, B et C envoient chacun un représentant Violet, seul l'État D envoyant un candidat Mauve. Et pourtant, le parti Mauve est globalement crédité de plus de voix.

Aux élections présidentielles américaines de 2000, Al Gore avait obtenu 266 Grand électeurs avec 48,38 % des voix, mais Georges W. Bush a pourtant été élu avec 271 Grands électeurs malgré ses 47,87 % (soit une différence d'un demi pour cent) ; en 2016, Donald Trump a obtenu 304 «grands électeurs» avec 46,09 %, contre 227 pour Hillary Clinton préférée par 48,18 % (plus de deux pour cent) des électeurs.

Cette mauvaise répartition peut être accentuée à dessein, par un redécoupage des circonscriptions électorales. En anglo-am&éricain, cela s'appelle le Gerrymandering  : «Gerry» pour le Gouverneur du Massachussett Elbridge Gerry (1744-1814) responsable d'un de ces premiers charcutages électoraux, et «mander» de salamander, chaque circonscription charcutée prenant une forme alambiquée, «reptilienne» (les salamandres font pourtant partie des batraciens).

Notons qu'en France, une circonscription électorale rurale représente en général moins d'électeurs qu'une urbaine, sous prétexte que les campagnes sont sous-représentées… mais peut-être aussi parce qu'historiquement, les campagnes votaient plus à droite que les villes.

1.2 Scrutins majoritaires à deux tours

Pour tempérer le problème de l'éparpillement des voix, deux tours peuvent être organisés, le premier permettant un classement des meilleurs candidats. C'était souvent le cas à la fin du XXe en France, quand quatre partis se partageaient l'électorat de façon assez équivalente.

Dans les élections présidentielles françaises, seuls les deux premiers candidats restent en compétition. Cela a néanmoins permis l'élimination du candidat de gauche Jospin au second tour, permettant un très inégal Chirac / Le Pen, alors que tout était possible dans une confrontation Chirac / Jospin. Cela ne permet donc pas toujours aux électeurs de voter en son âme et conscience au premier tour en se réservant un vote plus «utile» au second.

Aux élections législatives françaises, seuls les candidats ayant réuni 12,5% de votes au premier tour peuvent se représenter au second tour, au risque de déforcer la liste la plus proche idéologiquement. Cela permet notamment les réglements de compte entre ex-amis politique par une concurrence trop proche. Cela permet aussi à une minorité hargneuse de peser sur les candidats et obtenir une alliance globale.

Ce système est pourtant peu décrié en France, sous prétexte de liberté des politiques locaux, le scrutin ne devant pas appartenir à un parti. Mais rien n'empêche un parti idéologiquement proche d'un candidat de venir lui prendre des voix  : ce système ne combat donc nullement la particratie. Il semblerait que cela favorise la dichotomie politique installée aux États-unis, et depuis quelques années dans la Cinquième République, bien que cela se complique dernièrement.

2. Scrutins proportionnels

Les scrutins sont dits proportionnels lorsque les sièges obtenus par les différentes listes représentent proportionnellement le nombre de voix exprimées.

Liste AListe BListe CListe D
4632157voix pour chaque liste
43108 sièges, par tranche complète de 10 voix
4030100voix utilisées

Imaginons une élection pour désigner dix personnes parmi quatre listes. Si 100 électeurs doivent élire 10 représentants, il suffit de 10 voix pour élire un représentant.

Dans notre exemple, tout irait bien si chaque liste totalisaient un multiple de 10, mais en l'occurrence, rien ne tombe juste et il reste deux sièges à attribuer.

2.1 Attribution aux meilleurs restes

Liste AListe BListe CListe D
4632157voix pour chaque liste
43108 sièges, par tranche complète de 10 voix
4030100voix utilisées
6257restes des voix, non utilisées
+1+12 derniers sièges, attribués aux meilleurs restes
531110 sièges après l'attribution aux meilleurs restes

La première méthode est très simple, elle consiste à attribuer les deux derniers sièges aux meilleurs restes.

Si l'on considère les résultats des deux «petites» listes, on remarquera donc que la liste C, avec un pourcentage de 15%, obtient un élu, comme la liste D pour un pourcentage deux fois moindre (7%). Ce paradoxe vaut surtout les petits pourcentages, les listes A et B obtenant respectivement un siège pour 9,2% et 10,2%

Ce système est utilisé pour les législatives d'Allemagne et de Hollande, et le nombre de sièges allié au fait qu'un parti ne peut être représenté que s'il obtient au moins 5% des voix (en Allemagne) minimise ce problème de représentativité.

2.2 Aux meilleurs quotients

Liste AListe BListe CListe D
Voix%1e462e326e15   7
/23e23,004e16,007,503,50
/35e15,338e10,675,002,33
/47e11,5010e8,003,751,75
/59e9,206,403,001,40
/67,675,332,501,17

La méthode d'affectation D'Hondt, nommée d'après le juriste et mathématicien Victor D'Hondt (1841-1901), vise une meilleure représentativité de chaque siège.

On dresse à cet effet un tableau représentant les voix et les quotients sur les lignes suivantes. Il suffit de choisir les dix meilleurs quotients, qui par définition désigneront les sièges arithmétiquement les plus représentatifs.

Ce tableau permet le repérage des sièges quel qu'en soit leur nombre : pour cinq sièges, il suffit de répérer les cinq plus grands nombres. Par ailleurs, il permet également de voir dans quel ordre ils ont été élus : dans l'exemple ci-contre, nous voyons que les deux plus grandes listes récupèrent chacune un des deux représentants à attribuer, alors qu'aux meilleurs restes, c'étaient les listes A et D qui en avaient bénéficié.

Les pourcentages de sous-représentation sont en rouge
Liste AListe BListe CListe D
Voix%46 (46%)32 (32%)15 (15%)7 (7%)
1 sg1/1: 100,00%
2 sg1/2: 50,00%1/2: 50,00%
3 sg2/3: 66,67%1/3: 33,33%
4 sg2/4: 50,00%2/4: 50,00%
5 sg3/5: 60,00%2/5: 40,00%
6 sg3/6: 50,00%2/6: 33,33%1/6: 16,67%
7 sg4/7: 57,14%2/7: 28,57%1/7: 14,29%
8 sg4/8: 50,00%3/8: 37,50%1/8: 12,50%
9 sg5/9: 55,56%3/9: 33,33%1/9: 11,11%
10 sg5/10: 50,00%4/10: 40,00%1/10: 10,00%

Évolution de la représentation selon le nombre de sièges

Ce nouveau tableau permet d'observer un exemple de progression de la représentation des listes selon le nombre de sièges attribués, pour les mêmes résultats.

Dans le cas d'une élection à siège unique, la liste qui a obtenu le plus de voix l'obtiendra, soit 100% de représentativité. Cela équivaut au scrutin majoritaire où le parti le plus fort, quel que soit son pourcentage, reçoit l'unique siège de sa circonscription. Dans notre exemple, le parti A montre une sur-représentation de 54%.

Dans la progression d'attribution de un à dix sièges, la liste A est sur-représentée dans les dix cas, la liste B huit fois, la liste C une fois seulement, et la D jamais. Ce n'est qu'un exemple, mais il illustre le fait que l'attribution des sièges aux meilleurs quotients favorise les grosses listes.

Il apparaît néanmoins que la différence entre le pourcentage des voix obtenues et le pourcentage de sièges obtenus diminue avec le nombre grandissant de sièges à pourvoir.

2.3 Variante Imperiali

Liste AListe BListe CListe D
Voix%4632157
/21e23,002e16,009e7,50  3,50
/33e15,335e10,675,002,33
/44e11,507e8,003,751,75
/56e9,206,403,001,40
/68e7,675,332,501,17
/710e6,574,572,141,00
/85,754,001,880,88
/95,113,561,670,78

La variante «Imperiali» est utilisée pour les élections communales belges. Il s'agit de la méthode «aux meilleurs quotients», mais ne les considérant qu'à partir des moitiés.

Nous voyons que même la liste C, qui totalise pourtant 15%, à savoir 5% de plus que les 10% auparavant nécessaire pour obtenir un siège, démarre à 7,5%, ce qui est insuffisant pour être compétitif face aux listes A et B : elle n'obtient que le 9e siège.

Cette technique a pour but d'encore favoriser les listes ayant obtenu un grand pourcentage : la liste B n'obtient dans notre exemple que la moitié des sièges de la liste A, alors qu'elle vaut plus que les deux tiers des voix de la liste A.

La différence avec la méthode originale diminue avec l'augmentation du nombre de sièges à pourvoir.

3. Dispositions particulières

Peu de pays disposent d'une circonscription électorale unique à laquelle s'applique le scrutin proportionnel. C'est le cas pour les élections législatives néerlandaises et allemandes, et c'était le cas des élections européennes en France jusqu'en 1999.

3.1 Découpe en circonscriptions : le scrutin législatif belge

En Belgique, les 150 sièges sont répartis en circonscriptions. Jusqu'il y a peu, les circonscriptions étaient très disparates : de deux à Huy-Waremme jusqu'à 22 à Bruxelles-Halle-Vilvoorde.

Cette façon de faire est inégalitaire à deux titres : premièrement, une petite liste aura beaucoup moins de probabilité d'être représentée à Huy-Waremme qu'à Bruxelles-Halle-Vilvoorde, et contrevient donc à l'égalité des citoyens. Par ailleurs, une circonscription à deux représentants se rapproche fortement d'une élection majoritaire à un tour, système le plus inégalitaire qui soit. En effet, il suffit que la première liste rassemble le double de voix (plus une) de la seconde pour obtenir les deux sièges, ce qui serait le cas d'une répartition de 40, 19, 16, 14, 7 et 4%, tout à fait possible en Belgique.

Pour les élections fédérales, la réforme a regroupé les cantons en circonscriptions représentant les provinces, la moins peuplée comptant quatre représentants (celle du Luxembourg). En vertu du fait que les petites listes sont souvent désavantagées, les grosses listes accumulent les bonus au fil des circonscriptions ; un exemple concret se trouve sur la page consacrée aux résultat des régionales wallonnes de 2019.

De plus, l'imprécision cumulée de chaque circonscription fait que d'une élection à l'autre, la variation du nombre de sièges ne va pas nécessairement dans le sens de la variation en pourcentage des listes : un parti peut gagner en pourcentage global et perdre en nombre de sièges obtenus (ou l'inverse). Nous retrouvons là, à un moindre degré, le problème de répartition du vote majoritaire.

Concernant les élections provinciales, les cantons électoraux plus petits que la province sont maintenus, mais une décision de justice a fixé à quatre le nombre minimal de sièges par canton. Les trois partis les plus importants à l'époque (PS, MR et cdH) se sont entendus pour mettre en œuvre cette réforme minimale.

3.2 Mix proportionnel/majoritaire : les élections municipales françaises

Le scrutin municipal français pour les communes de plus de 3 500 habitants est en même temps proportionnel et majoritaire. Au premier tour (en cas de majorité absolue d'une liste) ou au second tour (même dans le cas du maintien de plusieurs listes), la moitié des représentants est accordée à la liste étant arrivée première, l'autre moitié étant répartie selon les pourcentages de voix des listes. Il en résulte que la liste la plus importante en voix a nécessairement la majorité absolue, ce qui est finalement plus proche du scrutin majoritaire que proportionnel.

3.3 Le seuil de représentativité : les élections fédérales allemandes de 2013

pourcentagessièges
2009Δ201309Δ13
CDU/CSU33,8%+7,841,6%239+72311
FDP14,6%–9,94,7%93–930
SPD23,0%+2,725,7%146+46192
Linke11,9%–3,38,6%76–1264
Grüne10,7%–2,38,4%68–563
Autres6,0%+5,011,0%000

Afin de décourager la multiplication de petits partis pouvant rendre difficile une majorité gouvernementale, certains scrutins proportionnels sont assortis d'un seuil de représentativité. Le problème politique est que ce sont les (grands) partis au pouvoir qui décident de rendre plus difficile l'éclosion de partis nouveaux, la raison invoquée étant souvent de contenir des groupuscules non démocratiques.

En Allemagne, où plus de 600 sièges sont attribués aux élections fédérales, un sixième de pour cent suffirait pour obtenir un siège. Le seuil d'attribution des sièges étant de 5%, il faut donc 30 fois plus de suffrages pour être représenté.

Ce système peut occasionner de grosses surprises : la coalition CDU-CSU/FDP, qui en 2009 représentait 48,4% et 332 sièges sur 622, totalise 46,3% en 2013 mais seulement 311 sièges sur 630 après la victoire écrasante d'Angela Merkel… sur son partenaire gouvernemental, qui n'obtient plus aucun siège pour être passé sous la barre des 5%.

La coalition est passée de 48,4% à 46,3% des suffrages, soit une baisse de 2,1%. En termes de sièges, les deux partis de droite sont passés de 53,4% des sièges (332/622) à 49,4% (311/630), soit une perte 4%.