Le retour du religieux contesté par les chiffres ISSP

EN mai 2005 la revue Sciences Humaines titrait «Dieu ressuscité. Les religions face à la modernité»*, semblant constater un retour de la spiritualité, invalidant de ce fait la théorie du désenchantement du monde théorisé par Max Weber et de la sortie de religion décrite par Marcel Gauchet*.

Dernières modifications au 2021.12.18

Quatre ans auparavant, Peter Berger, sociologue des religions et théologien, critiquait l’idée d’un retrait continu du religieux*, dans une perspective mondiale, concédant une exception européenne (voir par exemple le cas de la Belgique).

L’exception semble avoir atteint les États-Unis depuis les années 90 selon un long article du PEW Research Center. Pour étendre le point de vue, une recherche internationale, qui concerne surtout les pays industrialisés, permet une vision diachronique du phénomène grâce à quatre études : ISSP - Religion I (1991), II (1998), III (2008) et IV (2018), qui ne regroupent malheureusement pas tous les mêmes pays).

Les données des quatre enquêtes de l’International Social Survey Program - Religion reposent sur les mêmes questions, ce qui permet les comparaisons dans le temps. Dix-sept pays ont participé en 1991, 31 en 1998, 43 en 2008 et 33 en 2018.

Nous nous intéressons principalement à la progression de deux phénomènes qui ne se recouvrent pas nécessairement :

• le rapport à Dieu, à travers les six catégories athées, agnostiques, croyants en une force supérieure, croyants par moments, croyant malgré des doutes et croyants sans aucun doute ;
• l’appartenance à un des grands groupes religieux ; certains cultes locaux ou minoritaires sont regroupés en Autres religions chrétiennes (Églises du Réveil), Autres religions orientales (taoïsme, sikhisme, shintoïsme) ou Autres (religions nordiques, «païennes»).

1. Tableau synthétique

Voici le tableau synthétique, pour les quatre campagnes de sondage (1991, 1998, 2008 et 2018) de l’International Social Survey Program. Tous les pays n’ont pas participé aux quatre campagnes. Les deux Allemagnes ont été traitées séparément jusqu’en 1998. Les chiffres incertains de 2008 et 2018 pour l’ex-Allemagne de l’Est (314 répondants en 2008 et 292 en 2018) ont été écrits en gris.

Les résultats sont donnés en %, les arrondis étant responsables de certaines approximations. Par exemple, la différence d’1,7 % entre 76,6 et 78,3 % s’arrondit en 2 % entre 77 et 78 %. Les ,5 sont arrondis vers le nombre pair le plus proche.

Le premier groupe de colonnes représente les pourcentages de personnes qui affirment ne pas avoir de religion, le deuxième celles qui affirme ne pas être religieuses (de «plutôt non religieux» à «extrêmement non religieux»), le troisième les personnes qui affirment ne pas croire en un dieu (athées) ou qui affirment qu’on ne peut savoir si un dieu existe ou non (agnostiques) et qui vivent donc sans se référer à un Dieu. Le quatrième groupe de colonnes représentent les personnes qui croient en un Dieu, avec ou sans doute, ou parfois.

Entre les pourcentages sont calculés les points de variations entre deux enquêtes, colorés en bleu en cas d’accroissement et en rouge en cas de régression. On voit que la tendance générale est au bleu dans les trois premiers groupes de colonnes, c’est-à-dire qu’on note une progression de l’abandon de l’adhésion à un culte et du sentiment de religiosité, ainsi que de l’incroyance. Le quatrième groupe, qui concerne la croyance en un Dieu personnel, présente beaucoup plus de rouge.

Les exceptions notables sont la Russie, où le «retour du religieux» est spectaculaire jusqu’en 2008, et dans une moindre mesure la Bulgarie, dont les deux enquêtes sont séparées de vingt années. Les pays catholiques de l’Est européen sont plus mitigés : la Hongrie, la Slovénie et la République tchèque, où un indicateur peut aller dans un sens ou l’autre selon les années, et où les différents indicateurs peuvent aller en sens contraire pour une même campagne.

Les pays catholiques occidentaux, mais encore plus les pays protestants et anglo-saxons (dont les États-Unis dans une moindre mesure) vont dans le sens d’une désaffection religieuse, que ce soit au niveau de l’appartenance ou de la foi. C’est moins clair pour certains pays composites comme l’Allemagne et les Pays-Bas, mais une explication sera proposée.

Ces considérations ont motivé, dans les chapitres ultérieurs, le regroupement des pays en religions dominantes et aires géographiques ou appartenances culturelles.

2. Méthodologie

2.1 Comment lire les tableaux

Le premier groupe reprend les proportions, données en pour mille, des réponses aux différentes propositions sur la croyance :

• Ath. Je ne crois pas en Dieu — I don’t believe in God
• Agn. Je ne sais pas s’il y a un Dieu et je ne crois pas qu’il existe un moyen de le savoir — I don’t know whether there is a God and I don’t believe there is any way to find out
• Forc. Je ne crois pas en un Dieu personnel, mais je crois en une sorte de puissance supérieure — I don’t believe in a personal God, but I do believe in a Higher Power of some kind
• Parf. Je m’aperçois que je crois en Dieu à certains moments mais pas à d’autres — I find myself believing in God some of the time, but not at others
• Dtes Même si j’ai des doutes, j’ai l’impression que je crois en Dieu — While I have doubts, I feel that I do believe in God
• Ss dte Je crois que Dieu existe réellement et je n’ai pas de doute à ce sujet — I know God really exists and I have no doubts about it

Le deuxième groupe évalue la stabilité de la croyance :

• Jms : Je ne crois pas en Dieu actuellement et je n’y ai jamais cru — I don’t believe in God now and I never have
• Abn. : Je ne crois pas en Dieu actuellement mais j’y ai cru auparavant — I don’t believe in God now, but I used to
• Cnv. : Je crois en Dieu actuellement mais je n’y ai pas toujours cru — I believe in God now, but I didn’t use to
• Tjrs : Je crois en Dieu actuellement et j’y ai toujours cru — I believe in God now and I always have

Le troisième groupe indique le sentiment de religiosité, qui sur le questionnaire, s’étend sur sept degrés, d’extrêmement religieux à extrêmement non religieux. Les résultats agrègent en Oui les catégories extrêmement religieux, très religieux et plutôt religieux, en Non les catégories plutôt non religieux, très non religieux et extrêmement non religieux, la catégorie intermédiaire ne peut dire étant appelée Ni/ni.

Le quatrième groupe indique les affiliations religieuses, certaines religions étant regroupées :

• Sans : ceux qui ont répondu non à la question Considérez-vous que vous appartenez à une religion?. Les autres répondant à la question suivante.
• Cath. : catholique romain ou grec
• Prot. : Églises nationales, luthériennes, réformées, méthodistes, presbytériennes, libérales, baptistes, unitariennes (lorsque c’est précisé)
• Angl. : Églises anglicanes ou épiscopales (US)
• Orth. : tout genre d’orthodoxie
• Jud. : judaïsme
• Isl. : islam
• Boud. : toute forme de bouddhisme
• Hind. : hindouïsme et sikh
• ARC : autres religions chrétiennes : il s’agit le plus souvent des religions récemment issues du protestantisme. Certains pays agrègent parfois différemment plusieurs religions dans cette catégorie plutôt que dans la catégorie «Protestant», ce qui explique le jeu de vases communicants d’une enquête à l’autre.
• ARO : autres religions orientales : shintoïsme, taoïsme…
• Autres : native american, religions païennes, indéterminées…

Les effectifs des enquêtes s’élèvent généralement à un nombre entre 1000 et 2000, ce qui signifie que 0,1 % équivaut à un ou deux individus, ce qui n’est absolument pas significatif (marge d’erreur entre 2,5 et 3 % pour une certitude de 95 %?). La publication en pour mille est néanmoins conservée pour permettre la sommation de catégories sans accroître l’indétermination, mais faites attention à ne pas surestimer cette précision.

• n=1234 donne la taille de l’échantillon, n^P=1234 lorsqu’une pondération est applicable.
• 1023 indique le nombre de réponses, variable selon la question posée.

Pour les pays ayant participé à au moins deux études, les différences entre deux enquêtes consécutives sont données en pour mille, les positives sont colorées en bleu et les négatives en rouge, à l’exception des écarts de moins de 20 ‰, qui ne peuvent être significatifs et apparaissent en gris. Afin d’alléger les tableaux, les données et différences nulles ne sont pas mentionnées.

Notez bien!

En partant de l’hypothèse que la situation historique a une influence certaine sur son évolution, les pays sont regroupés par religion majoritaire, c’est-à-dire celle qui dépasse la totalité des autres, en ne tenant pas compte des «sans religion». Les commentaires sont réalisés pour l’aire entière avant les tableaux, regroupés pour une meilleure comparaison.

Des tableaux à droite des commentaires donnent la moyenne des enfants (moins de 18 ans) vivant dans les ménages en 2018 pour chaque religion, qui peut partiellement expliquer l’évolution des chiffres sur dix années (on hérite en général de la religion des parents). Il ne s’agit nullement d’un indice de fécondité, ces ménages pouvant ne pas encore avoir d’enfant ou ne plus en avoir à charge.

2.2 Deux pays du Moyen-Orient

En guise d’exemple, voici les résultats de deux pays du Moyen-Orient ayant une religion monothéiste franchement dominante.

En 2008, la Turquie affiche une appartenance à l’islam à plus de 99 %, moins d’un demi pour cent s’affirme sans religion, tandis que le rapport à Dieu présente d’autres proportions : 93 % se disent croyant sans aucun doute, 3 % admettent des doutes ou des moments de non-croyance tandis que près de 3 % se disent athées ou agnostiques. Des répondants se sont donc déclarés musulmans et athées ou agnostiques. Nous verrons plus loin que c’est souvent le cas de pays où afficher une religion est une affirmation identitaire. L’inverse est également possible : dans d’autres pays, il y a bien plus de «sans religion» que d’athées et agnostiques.

Les données de milieu de tableau montrent les changements d’attitude à la foi : l’incroyance depuis toujours, l’abandon de la foi, la conversion ou la foi depuis toujours. On y voit que le total de ceux qui n’ont jamais cru et ceux qui ont abandonné la foi est plus proche de celui des athées et agnostiques que celui des sans religion. 6 % seulement se disent un peu, très ou extrêment non religieux.

On constate en 2018 une légère érosion de l’islam, peut-être par une meilleure prise en compte de la présence orthodoxe, mais aussi par l’apparition de personnes affirmant ne pas avoir de religion. 1 % n’est pas significatif, mais la baisse de «croyants sans aucun doute» est plus importante : 8 %. Rappelons que l’on peut comparer les chiffres issus d’années différentes car les questions sont posées de la même façon d’une décennie à l’autre.

Le cas d’Israël est plus délicat. Manifestement, l’étude de 1991 ne couvrait pas le même territoire ou n’interrogeait pas les mêmes catégories de populations, puisqu’elle ne fait mention que d’un demi pour cent de musulmans, alors que les enquêtes suivantes en dénombrent 12, 11 et 16 %. Le nombre de «sans religion» n’est pas en accord avec le nombre d’athées et d’agnostiques, de façon très nette : dans certains pays sous tension communautaire, l’appartenance religieuse et la croyance peuvent beaucoup différer.

Selon Tom W. Smith (Beliefs about God Report 2012, NORC/University of Chicago), c’est la marque des pays en conflit religieux, mais il oublie la concurrence religieuse qu’il a pourtant pointée pour les USA : séfarades et ashkénazes, arbitres de la rivalité historique entre travaillistes et conservateurs, sont parvenus à obtenir des lois qui leur étaient très favorables, faisant preuve d’un communautarisme offensif en ouvrant écoles et colonies. N’oublions pas non plus qu’Israël n’est pas un État laïc : le mariage civil n’y existe par exemple pas.

Israël voit son taux de «sans dieu» diminuer fortement en 1998, ce que l’inclusion des musulmans possiblement plus croyants pourrait partiellement expliquer, mais nous constatons un certain rebond des «sans dieu» de 2008 à 2018. L’apparition récente de la religion druze (9 %), islam hétérodoxe libanais, demande une explication.

3. Les pays catholiques

Pour cette étude, un pays est dit catholique si la majorité de ses croyants sont de confession catholique, quel que soit le taux de croyants.

Les pays ayant un haut taux de catholiques connaissent une érosion relativement contenue, qui ne se traduit pas entièrement par la montée équivalente de «sans religion» mais ne profite cependant pas beaucoup aux religions du réveil, plus visibles que réellement implantées.

3.1 Europe occidentale

On semble assister à une accélération de la désaffection au catholicisme, surtout lorsque celui-ci devient moins hégémonique. Ce détachement ne se fait pas au bénéfice des religions du réveil et n’est pas entièrement converti en un rejet de la croyance en un Dieu personnel. L’islam semble mieux pris en compte dans les études.

L’Irlande et l’Italie sont les deux seuls de ces pays où la baisse a été contenue de 1998 à 2008. Un article (2014) de Catherine Piola explique le ralentissement du recul du catholicisme par l’arrivée de catholiques d’Europe de l’Est depuis 2004. Nous ne savons pas comment a ensuite évolué l’Irlande, ce pays ayant mis fin à ses participations aux enquêtes ISSP - Religion. Notons que le contexte politique irlandais montre un net détachement des préceptes de l’Église romaine : larges majorités pour les référendums en faveur de la légalisation du mariage des personnes de même sexe (2015.05.22 : 62 %), en faveur du retrait de l’interdiction de l’avortement de la Constitution (2018.05.25 : 66 %), contre la loi réprimant le blasphème (2018.10.26 : 65 %), pour un assouplissement de la loi sur le divorce (2019.05.24 : 82 %)…

La tendance à la désaffection de l’Italie au catholicisme est relativement nette, mais de façon discontinue, contenue de 1998 à 2008, avec un saut de 7 % de 2008 à 2018, pour un total de 11 % en 27 ans. La baisse de la croyance «sans doute» est plus marquée, de 18% dans la même période, compensée au deux tiers par les autres formes de croire en un Dieu personnel. Enfin, le pourcentage de sans religion est très proche du nombre de sans-dieu, ce qui n’est pas fréquent.

Le pourcentage d’adhésion aux religions non catholiques est étonnamment bas dans cette étude, et cadre très mal avec les données de la page WP consacrée au sujet, qui indique pour 2019 une adhésion de 69 % au catholicisme, de 4 % à l’islam et à l’orthodoxie, de 3 % aux autres religions et de 15 % aux sans.

Le Portugal a connu une baisse, seulement constatée à partir des deux enquêtes de 1998 et 2008. De même qu’en Italie, la baisse de la croyance sans doute (−9 %) est plus importante que celle de la désaffection au catholicisme (−4 %).

L’Espagne, qui part d’un effectif assez élevé en 1998, a perdu 22 % de catholiques en 20 ans, gagné 16 % de «sans religion» et 13 % de «sans dieu» : comme c’est souvent le cas, le nombre de «sans dieu» baisse avec un certain retard. Contrairement à l’Italie et au Portugal, la désaffection à l’égard de l’Église catholique est plus importante que la baisse de la foi sans doute en un Dieu personnel.

L’érosion des catholiques s’accélère fortement en Autriche pour un total de 23 % en 27 années. Dans le même temps, les «sans religion» et les «sans dieu» ont augmenté de 17 %.

En France, l’affiliation catholique continue de baisser, atteignant les 40 %, tandis que les «sans religion» dépassent maintenant les 50 %. L’islam, qui n’était crédité qu’à 1 % en 2008, passe à 4 % en 2018. Le nombre d’athées passe de 18 à 27 % en 20 ans, celui des agnostiques stagne à 17 %, ce qui totalise 44 % de «sans dieu». L’accélération de la désaffection catholique entre 2008 et 2018 est peut-être à mettre en relation avec le combat des Églises contre le mariage pour tous, auxquel une majorité croissante de citoyens est favorable.

3.2 Pays catholiques d’Europe ex-communiste

Si une tendance à la baisse assez nette du catholicisme est également visible dans les pays ex-communistes, certains connaissent une évolution moins continue.

La Pologne n’ayant plus participé à l’enquête en 2018, nous ne pouvons donc savoir si la baisse de 1991 à 2008 se confirme : elle était peut-être due à la disparition de Jean-Paul II (pape de 1978 à 2005). Sur la même période, la montée de 10 % de «sans religion» ne correspond qu’à une augmentation de 3 % de «sans dieu», écart qui n’est pas très significatif.

La Croatie partant d’un effectif de 88 % de catholiques en 2008, les 5 % de perte ne représentent pas grand-chose. C’est surtout la façon de croire qui change: -19 % de croyance sans aucun doute, et une augmentation quasi égale de «sans religion» que d’athées, ce qui est assez rare.

L’évolution est plus chahutée en Slovénie : la perte totale sur 27 ans du catholicisme est sévère (23 %, malgré une légère inversion de tendance entre 1998 et 2008) et le nombre des sans religion augmente de près de 22 %, tandis que le nombre d’athées et d’agnostiques descend de 4 %. Si dans les enquêtes ISSP les effectifs des athées et agnostiques n’évoluent pas toujours parallèlement à ceux des «sans religion», un écart aussi important est unique. Notons également que la religiosité a augmenté de 20 % de 2008 à 2018.

Après un maintien en 2008 en Slovaquie, les catholiques ont connu en 2018 une baisse de 14 % ; le protestantisme s’est érodé de façon plus continue. Les «sans religion» augmentent de 18 % et les «sans dieu» de 12 %.

La Hongrie avait vu le nombre de catholiques fortement baisser à partir de la Chute du Mur. Si en 27 années elle perd finalement 18 % de catholiques et gagne 20 % de sans religion, la période 1998-2008 a connu un rebond de 10 % du catholicisme ; le total des athées et agnostiques a évolué de façon moindre, mais le solde est positif de 8 %. Il est possible d’y voir plus d’affiliation religieuse que de croyance, les «sans aucun doute» diminuant à chaque sondage. Finalement, ce n’est qu’au niveau du positionnement face à l’Église que les grands changement ont eu lieu. L’arrivée d’Orban et sa politique césaro-papiste ne semble pas avoir donné de regain au catholicisme.

La République Tchèque, autrefois liée à la Slovaquie, a connu une baisse 16 % de catholiques et une montée de 20 % de «sans religion» dix années plus tôt que celle-ci ; cette tendance assez inattendue a ensuite connu une correction. De la même manière, les «sans dieu» avaient progressé de 20 % entre 1998 et 2008 et ensuite régressé de 11 % de 2008 à 2018, et se sont senti plus religieux en 2018 qu’en 2008.

3.3 Autres pays catholiques

Les pays «occidentaux», à savoir européens ou anglo-saxons, sont nettement majoritaires dans l’enquête ISSP ; seuls quelques autres pays y ont participé, et certains seulement en 2008. Les seules tendances qu’on puisse en tirer est que les pays d’Amérique latine avaient en 2018 un pourcentage de catholiques d’environ 80 % en 2008, avec pour exception l’Uruguay, beaucoup plus proche des 50 %. Le protestantisme et autres religions chrétiennes, que l’on dit si conquérantes en Amérique du Sud, oscillent entre 8 et 18 %.

Le Chili étant le seul pays d’Amérique latine ayant participé à plusieurs enquêtes, il est très difficile de se faire une idée de son évolution. L’appartenance catholique y baisse fortement, les autres religions chrétiennes étant stables, à 18 % : les religions du réveil n'y ont pratiquement pas progressé en vingt ans, contrairement au nombre de «sans religion» qui augmente de 16 %, mais celui des «sans dieu» seulement de 4 %. Les croyants «sans doute» y perdent 11 %.

Les Philippines, majoritairement catholique, se situent en Asie du sud-est. L’érosion du catholicisme et encore plus des «autres religions chrétiennes» se fait au bénéfice des «autres», du protestantisme mainline et de l’islam. Les «sans religion» y sont inexistants et les athées très rares ; seuls 3 % d’agnostiques se déclarent.

4. Les pays orthodoxes

Trop peu de pays orthodoxes ont connu au moins deux enquêtes pour pouvoir en tirer des conclusions, mais s’il existe un «retour du religieux», c’est là qu’on le trouve.

Chypre maintient son très haut taux d’orthodoxie, comme la Turquie l’islam. Seule la façon de croire change quelque peu. Notons néanmoins les 5 % de «sans dieu» pour 99 % d’orthodoxes, et la baisse de 4 % de personnes «ayant toujours cru».

La Bulgarie est un des très rares pays où les «sans religion» ont baissé, ainsi que les «sans dieu» de façon plus forte, selon les deux études distantes de 20 années.

En Russie, la chute aussi drastique des «sans religion» et dans une moindre mesure des «sans dieu» d’un côté et la montée en force de l’orthodoxie de l’autre peuvent s’interpréter de plusieurs façons : soit les Russes ont toujours été croyants et religieux et la fin du régime soviétique a permis l’expression de leur appartenance et leur sentiment religieux, soit la foi et la religion sont un dernier espoir face au marasme économique, soit l’Église, qui supplée un État social disparu, ramène vers la foi… la conjonction de ces trois possibilités expliquant sans doute l’ampleur du phénomène, sans compter le vieillissement de la population par une baisse de la natalité. Par ailleurs, nous assistons ces dernières années à un retour du césaro-papisme, l’alliance entre pouvoirs temporel et spirituel, et donc d’une délaïcisation de l’État. Notons néanmoins que les chiffres d’appartenance religieuse et l’athéisme et agnosticisme se sont stabilisés en 2018 et que la foi en un Dieu personnel a baissé de 8 %.

5. Les pays protestants

Les pays protestant ne s’éloignent guère de ce que nous avons déjà pointé avec les pays catholiques. Il est à noter que les trois premiers pays comptent une Église protestante nationale.

La Finlande, qui n’a connu que les deux dernières enquêtes, voit une baisse de 16 % de protestants, une hausse de 13 % de «sans religion», une baisse de 10 % de croyant en un Dieu personnel et une hausse de 9 % de «sans dieu».

La Norvège illustre le fait que l’érosion du culte hégémonique semble s’accroître à l’instar de plusieurs pays catholiques (Autriche, France, et Pologne) avec des pertes successives de 5,2 %, 6,5 % et 16,7 %, soit 28 % des adhérents au protestantisme en 27 ans. Les 20 % d’augmentation de «sans religion» se retrouvent presque dans les 16 % d’athées en plus.

Le Danemark reste le pays le plus protestant de l’enquête, mais les résultats de 2018 montre une érosion qui semble s’accentuer. Notons que le nombre de croyants en un dieu personnel (31 %) est très en-deçà du nombre d’adhérents aux religions (78 %).

L’érosion est très contenue en Suède, où le seul changement notable est une augmentation des sans-dieu de 14 % en 20 ans.

L’ex-Allemagne de l’Est, qui n’est plus un pays depuis son rattachement à l’Allemagne de l’Ouest en 1990, n’en garde pas moins une culture bien moins religieuse (voir chapitre suivant) : plus d’une moitié d’athées, deux tiers de «sans dieu» et de «sans religion», mais il semble que la tendance s’inverse en 2018. En 2018, l’étude ne considère plus les deux Allemagnes séparément (voir au chapitre suivant). Il a été possible de reconstituer les effectifs séparés des deux ex-Allemagnes grâce à une variable régionale, mais ceux concernant l’ex-Allemagne de l’Est sont trop faibles pour pouvoir apprécier avec exactitude ce regain d’affiliation protestante.

Par ailleurs, le territoire de l’ex-Allemagne de l’Est serait passé de 18M en 1990 à 14M en 2019, pour une population allemande globale de 80M à 83M. Un vieillement de la population par une moindre fécondité ou déplacement de population jeune pourrait expliquer ce possible rebond religieux.