Notes de lectures sur les religions

Le réenchantement du monde

Peter L. Berger et allii, Bayard, 2001

Le sociologue des religions Peter Berger (1929-2017) se démarque de sa croyance, plus de 20 ans auparavant, en une sécularisation accrue du monde et en son «désenchantement» (abandon du magique) prévus par Max Weber. Avant de tenter l’explication d’un phénomène, il est nécessaire de vérifier qu’il a bien lieu. Pour un rejet empirique de cette croyance en un «retour du religieux», principalement pour le monde occidental ou industrialisé, voir la page consacrée à l’International Social Survey Program - Religion. Pour les autres pays, il est difficile de trouver des statistiques non officielles. Par ailleurs, le «religieux» comporte plusieurs volets : la foi, le culte, la coutume, le politique…

Il est à noter que les contributeurs sont culturellement très proches de la religion dont ils parlent : par exemple, Georges Weigel est auteur d’une hagiographie sur Jean-Paul II (Jean-Paul II, témoin de l’espérance, JC Lattes, 1999) et Jonathan Sacks est le grand rabbin de Grande-Bretagne et du Commonwealth. Si cela ne constitue pas en soi une preuve de manque d’objectivité, cela trahit peut-être un souci de consensualisme de la part du directeur de l’ouvrage.

Mais c’est la méthodologie de l’ouvrage qui est le plus contestable. Peter Berger est un sociologue reconnu dans l’étude de la religion, mais son apport de 24 pages, La désécularisation du monde : un point de vue global, n’est qu’un point de vue sans aucune référence scientifique ou littéraire, alors que la Présentation (six pages) du traducteur, Jean-Luc Pouthier, en comporte neuf. De la même manière, les seules références du second article, Le catholicisme à l’ère de Jean-Paul II (24p), concernent deux numéros de La documentation catholique et les encycliques Centesimus Annus et Splendor veritas.

Le seul article sociologique est finalement celui de Grace Davies, Europe : l’exception qui confirme la règle ?, qui propose même des chiffres de pratiques et de croyance, mais seulement pour l’année 1990, et l’on est bien en peine d’évaluer une quelconque évolution. Le livre étant sorti en 1999 (The Desecularization of the World : Resurgent Religion and World Politics, 1999), la sociologue ne pouvait pas encore comparer les chiffres des enquêtes de 1991 et 1998 du programme ISSP - Religion, qui montre que le phénomène a bien lieu dans tout le monde «occidental», en ce compris l’Australie et la Nouvelle-Zélande, et qu’il n’y a pas de retour du religieux autre que politique aux États-Unis.

Enfin, le bandeau de l’édition française (Bayard) est plutôt racoleur : «Le réveil des religions sur la scène politique mondiale était largement imprévu. Les auteurs analysent avec lucidité le PHÉNOMÈNE QUI BOULEVERSE LE DOGME DE LA SÉCULARISATION». Un sacré coup dans l’eau.

Sommaire :


Pour en finir avec Dieu

Richard Dawkins, Robert Laffont, 2008

— Recension aimablement transmise par Lordius

Publié en 2006, cet essai vibrant de 400 pages sur la religion, ou plutôt contre la religion, est l’œuvre d’un biologiste britannique de renommée mondiale, athée fanatique, si l’on me permet cet oxymoron.

Le ton tourne parfois au pamphlet et quelques passages sont inévitablement longs ou abscons. Néanmoins, l’érudition de l’auteur (plus de 200 ouvrages en référence) et la pertinence de nombre d’idées sont véritablement percutantes, pour celui qui n’est pas aveuglé par les dogmes religieux qui ont pu l’endoctriner durant son enfance.

Je vais juste mentionner l’idée centrale du livre qui explique pourquoi Dieu a, selon Dawkins, très peu de chances d’exister.

Certains créationnistes invoquent l’étonnante complexité et sophistication de certains organes ou composants animaux (yeux, ailes, système immunitaire, etc…) pour dire qu’il est impossible que de telles merveilles soient arrivées là par hasard. Ce ne peut donc être que l’œuvre de Dieu. Non, en effet, nous explique le biologiste Dawkins, spécialiste de la théorie de l’évolution, ce n’est pas dû à la chance. Ces organes merveilleux sont le fruit d’une très lente évolution basée sur la sélection naturelle (découverte par Darwin du XIXème siècle et amplement étayée par la science depuis). Ce n’est pas arrivé d’un coup mais très très progressivement avec beaucoup de ratés et fausses routes, ne laissant aucune place à la chance ni à une quelconque intervention surnaturelle.

Ensuite, Dawkins examine les facteurs qui permettent à une planète de développer la vie. Il faut un certain nombre de facteurs contraignants : de l’eau, être à bonne distance du soleil (pas trop près, pas trop loin), une grosse planète (Jupiter) dans les environs pour faire aspirateur à astéroïdes qui sinon dévasteraient notre planète, et d’autres conditions encore. Là, l’évolution ne peut rien. Alors disent les religieux, seul Dieu a pu créer tant de conditions favorables. Faux répond Dawkins. Il y a au moins un milliard de planètes dans notre galaxie. Et au moins un milliard de galaxies dans l’univers. Statistiquement, il y a donc une très forte probabilité que l’univers possède plusieurs planètes comme la nôtre, aptes à développer la vie, sans intervention surnaturelle.

Enfin, reste l’épineux problème de la création de l’univers, sur lequel nous manquons encore de données précises comme on peut s’en douter, le phénomène s’étant produit très loin d’ici il y a 13 milliards d’années.

Les physiciens se sont aperçus qu’il existe six nombres de la physique qui sont «réglés» juste à la bonne valeur pour qu’il puisse y avoir de la vie dans l’univers. Par exemple, une constante physique concernant la fusion nucléaire. Elle est 0,007 pour tout l’univers. Si elle était à 0,006 ou 0.008, il n’y aurait pas de vie.

Ah, ah ! jubilent les croyants, c’est impossible que ce soit arrivé par hasard. C’est forcément la main de Dieu.

Non, rétorque Dawkins pour deux raisons. D’abord si on imagine qu’il y a un être intelligent et très puissant qui a «titillé» les six boutons réglant les constantes physiques, alors cet être est très complexe. Répondre que c’est Dieu qui a lancé l’univers, ne simplifie pas le problème mais au contraire le rend encore plus complexe et improbable. Il est infiniment plus improbable qu’il y ait un super-créateur que simplement six constantes à la bonne valeur. Après tout, si on se dit par simplification excessive : «Dieu est, point !» autant se dire «Les six constantes sont à la bonne valeur.»

D’autre part, la recherche récente en cosmologie et physique propose deux nouvelles théories intéressantes :

Selon la théorie de l’expansion-contraction, l’univers a une durée de vie de vingt milliards d’années. Il y a eu le big-bang, l’expansion. Vient ensuite la contraction de l’univers qui se termine par le big-crunch qui est l’opposé du big-bang. Ensuite un nouvel univers démarre. Selon cette théorie, un nombre quasi-infini d’univers peuvent se suivre dans le temps, en série. Selon la statistique (et le bon sens), la probabilité est forte que l’un de ces univers ait les six constantes à la bonne valeur. Ce serait le cas du nôtre.

L’autre théorie, c’est celle du multivers. Selon certains physiciens, il y aurait de très nombreux univers qui existeraient en parallèle. Là aussi la probabilité est forte que l’un d’eux possède les six bonnes valeurs. C’est le nôtre.

Bon, c’est un sujet très compliqué, et je ne suis pas sûr d’avoir bien expliqué mais vous voyez un peu le topo. En conclusion, je conseille la lecture de cet ouvrage passionnant. Les agnostiques deviendront athées, les athées seront renforcés dans leurs convictions, et les croyants se poseront des questions légitimes.

Lordius


dieu.com

Danièle Sallenave, Gallimard, 2004

Les communautarismes, parmi lesquels un retour frileux ou haineux vers les religions, sont la principale cible de cet essai. Rien n’est acquis dans le monde au sujet de la démocratie et de la laïcité – il serait dangereusement naïf de le croire – et le laisser-aller actuel dans la défense des valeurs universelles favorise l’émergence de forces réactionnaires, dont les idées se propagent à grande vitesse.

L’islamisme, que tout le monde semble pointer, ne doit pas nous empêcher de voir que le problème est bien plus large : témoins la référence au christianisme dans la constitution européenne, la croisade américaine, les revendications autonomistes et exclusions, voire épurations ethniques.

L’auteure aurait pu insister davantage (seconde moitié du chapitre 6) sur un autre genre de communautarisme, qui passe d’autant plus inaperçu qu’il semble naturel : le sexisme, qui renaît de plus belle (voir l’énorme succès des délires sur fond de Mars et Vénus). Il s’agit pourtant bien d’un racisme, au sens que la biologie est constamment invoquée pour convaincre les naïfs (et naïves) que femmes et hommes sont d’extractions différentes.

Sommaire :

  1. Soudain l’Islam
  2. La république est en danger !
  3. Clash des civilisations ou choc en retour ?
  4. La victoire des Mercedes sur les Trabant
  5. Pornographie funèbre
  6. Retour à la tribu
  7. L’Europe et le voile de Marie
  8. La tolérance, autre nom de la guerre
  9. dieu.com
  10. Bref éloge de l’athéisme

Christianisme et paganisme du IV° au VIII° siècle

Ramsay MacMullen, Les Belles Lettres, 1998

Il a fallu la volonté des empereurs, les milices chrétiennes, beaucoup d’interdictions et quelques siècles pour éradiquer les cultes païens de l’antiquité tardive. Cela ne s’est pas fait sans en adopter les croyances et les «superstitions», d’où la multiplication des saints et des ex-votos à partir de la fin du IV°, lorsque la religion est devenue obligatoire sous Théodose.

On y apprend par ailleurs que l’Église naissante s’est très bien accoutumée des coutumes romaines, l’évêque Félix (v511-582, évêque en 548) ayant par exemple possédé des esclaves.

Le texte s’étend sur 191 pages, les notes sur 122 pages, la bibliographie sur 36.


Monsieur Onfray au pays des mythes. Réponse sur Jésus et le christianisme

Jean-Marie Salamito, 2017, Salvator

Il s’agit d’une réplique à Décadence : vie et mort du judéo-christianisme d’Onfray. Décadence est sorti en février, la réponse a été imprimée en mai, ce qui explique l’impression d’urgence, qui nuit toujours à l’Histoire.

Dans un article consacré à son pamphlet anti-freud «Le crépuscule d’une idole», j’ai critiqué des errements et la méthode «bulldozer» d’Onfray, et je ne doute pas beaucoup de la nécessité de répondre à Décadence. Ce qui suit n’est donc pas une défense du livre d’Onfray, que je n’ai pas lu, mais la critique d’une certaine forme d’argumentation chrétienne.

Le choix sélectif des textes est le plus gros biais de l’apologétique. Par exemple, Salamito minimise la portée d’un verset de Jean montrant un Jésus violent, sous prétexte qu’il ne se trouve que dans Jean [1] (Jn 2:15) et qu’il n’y est pas dit que Jésus a utilisé le fouet qu’il s’est confectionné (p.109). Une synopse des quatre évangiles montrera qu’on retrouve pourtant chez les synoptiques l’expulsion des marchands du temple (Matthieu 21:12, Marc 11:15, Luc 19:45), Matthieu et Marc ajoutant le renversement des tables et des chaises des vendeurs de pigeons. On se demandera quand même comment les marchands auraient accepté de s’en aller sans un minimum de violence. Par ailleurs, l’auteur ne mentionne pas le verset de Luc où Jésus pousse clairement les disciples à s’armer [2] (Luc 22:36).

Καὶ ποιήσας φραγέλλιον ἐκ σχοινίων πάντας ἐξέβαλεν ἐκ τοῦ ἱεροῦ, τά τε πρόβατα καὶ τοὺς βόας : καὶ τῶν κολλυβιστῶν ἐξέχεεν τὸ κέρμα, καὶ τὰς τραπέζας. 1. Se faisant un fouet de cordes, il les chassa tous du Temple, et les brebis et les boeufs ; il répandit la monnaie des changeurs et renversa leurs tables (Jn 2:15)
[…] Ἀλλὰ νῦν ὁ ἔχων βαλάντιον ἀράτω, ὁμοίως καὶ πήραν: καὶ ὁ μὴ ἔχων, πωλήσει τὸ ἱμάτιον αὐτοῦ, καὶ ἀγοράσει μάχαιραν. 2. […] Que celui qui a une bourse la prenne, de même celui qui a une besace, et que celui qui n’en a pas vende son manteau pour acheter un glaive. (Luc 22:36)

Il est en effet possible d’accorder une importance secondaire aux versets esseulés si l’on accepte le risque de réduire fortement les évangiles : il suffit de consulter une synopse pour se rendre compte qu’un tiers des péricopes ne sont connues que par un évangile (par exemple la parabole du fils prodigue, l’épisode de la femme adultère connue assez tardivement, la résurrection de Lazare…). Pire, une péricope commune à deux évangiles peuvent s’opposer sur à peu près tout, témoins les récits de l’adoration par Matthieu et Luc.

Quand on a l’habitude de lire des ouvrages de spécialistes (ceux qui s’arrogent le droit exclusif de disserter sur la Bible), on est toujours effaré d’entendre les intervenants tout oublier de la recherche critique de théologiens : le témoignage de Josèphe pour lequel Salamito concède quelques interpolations (pp.37-38), y est assez diversement apprécié.

Par ailleurs, l’auteur semble être un des derniers chercheurs chrétiens à prendre les Actes des Apôtres pour de l’Histoire, en s’appuyant sur Marc Bloch qui assurait que «le christianisme est une religion d’historiens» (en exergue). C’est dans ces Actes par exemple que Paul explique à Agrippa que «le Christ est ressuscité le premier d’entre les morts» (Actes 26:23), en contradiction avec la résurrection du fils de la veuve (Luc 7:11-17) avant celle de Jésus, alors que ces deux livres sont censés être du même auteur. D’autres contradictions notoires existent entre ces deux livres.

Monsieur Onfray au pays des mythes semble surtout un livre pour rassurer les chrétiens qui pourraient être inquiétés par la thèse mythiste, thèse qu’il ne faut surtout pas réduire aux pamphlets d’Onfray.