Wikipedia désinforme à propos de la thèse mythiste
CONDAMNATION sans appel, sur le Wikipédia francophone, de la théorie du Jésus mythique, marginale parce que rejetée par les historiens sérieux, dépassée depuis près d'un siècle et surtout rabâchée sur Internet en dehors des cénacles académiques. Cette prise de position définitive est copiée-collée un peu partout où c'est possible, comme l'a déjà remarqué une page de Marjorie.
Cette page vous offre un florilège de ces incantations (juin 2013), avant de s'intéresser à quelques auteurs mythistes dont la page Wikipédia a été supprimée. Vous trouverez ici une liste plus complète.
Ce que Wikipédia nous répète inlassablement
Thèse_mythisteWP – En conclusion du préambule (avant donc toute explication)
La thèse de l'inexistence historique de Jésus, apparue à la fin du XVIIIe siècle, restée marginale au sein de la recherche historique académique, complètement rejetée par les spécialistes universitaires du christianisme ancien depuis la fin des années 1930, a néanmoins continué d'être reprise régulièrement par des auteurs en dehors du milieu académique, se diffusant notamment sur internet.
Plus loin, Michel Onfray est présenté – en deux lignesWP – par deux ouvrages qu'il a signés et la réédition d'Alfaric qu'il a préfacée, tandis que la critique de son Traité d'athéologie par Michaël Foessel s'étale en note sur dix lignes. Les thèses mythistes énoncées sont toujours bien encadrées par la contrepartie historiciste ou par toute autre «réfutation».
Quêtes_du_Jésus_historiqueWP
Résumé de l'assertion précédente :
[La thèse mythiste] a continué d'être reprise régulièrement par des auteurs en dehors du milieu académique, se diffusant notamment sur internet.
Earl DohertyWP (né en 1941)
Au lieu de renvoyer au premier article, une section «Thèse mythiste» reprend le même thème :
La thèse mythiste (la non-existence historique de Jésus) a été abandonnée par la recherche universitaire en 1933 à la suite de l'ouvrage critique de l'écrivain athée Charles Guignebert. Elle se perpétue néanmoins dans le milieu non universitaire, cercles rationalistes ou fondamentalisme athée.
Remarquons qu'un seul auteur, insoupçonnable parce qu'athée, aurait mis tous les spécialistes d'accord à partir d'une seule recherche, et apprécions le terme «fondamentalisme athée» (à partir de quelle révélation ?) qui exclut la thèse mythiste du débat entre personnes raisonnables. Avant la ritournelle :
En effet, la thèse de l'inexistence historique de Jésus, apparue à la fin du XVIIIe siècle, restée marginale au sein de la recherche historique académique, complètement rejetée par les spécialistes universitaires du christianisme ancien depuis la fin des années 1930, a néanmoins continué d'être reprise régulièrement par des auteurs en dehors du milieu académique, se diffusant notamment sur internet.
Prosper AlfaricWP (1876-1955)
Les théories mythistes que défendait Alfaric sont désormais frappées d'obsolescence, infirmées par les progrès ultérieurs de la recherche, à l'instar de ses travaux défendant l'idée d'un christianisme aux origines esséniennes.
Tout cela est aussi conclusif qu'évasif, les «progrès ultérieurs» n'étant nullement précisés, et semble repousser définitivement toute influence essénienne sur le christianisme (baptême, célibat, ascèse, pauvreté, non-violence, retrait de la vie publique…), pour autant que les deux mouvements soient aisément qualifiable. La comptine revient :
En effet, la thèse de l'inexistence historique de Jésus, apparue à la fin du XVIIIe siècle et restée marginale au sein de la recherche historique académique, a été complètement rejetée par les spécialistes universitaires du christianisme ancien depuis la fin des années 1930. Elle apparaît aujourd'hui comme dépassée même si elle a continué d'être reprise régulièrement par des auteurs pour la plupart en dehors du circuit académique, «dans une certaine presse marquée par l'idéologie et pas assez par la connaissance scientifique», se diffusant notamment par le biais d'Internet.
Ces quelques affirmations sont ponctuées de références, qui renvoient à des déclarations (Daniel Marguerat, Michel Bouttier, Enrico Norelli, Jean-Michel Poffet pour le Jésus de Nazareth : nouvelles approches d'une énigme édité chez Labor et Fides, l'article Jésus de Pierre Geoltrain dans l'Encyclopædia Universalis, Le christianisme des origines à Constantin de Simon Claude Mimouni aux PUF/Nouvelle Clio) mais jamais à des arguments. Nous verrons plus bas l'utilisation que certains font sur Wikipédia de la notion de sources secondaires.
Paul_Louis_CouchoudWP (1879-1959) – Une petite variante est proposée
La thèse mythiste affirmant la non-existence historique de Jésus-Christ a été abandonnée par la recherche universitaire depuis 1933 et l'ouvrage critique de l'historien laïc Charles Guignebert.
La thèse mythiste se perpétue, par ailleurs, en dehors de l'Université, notamment sur l'Internet, dans les cercles rationalistes et libre penseurs et chez certains auteurs anglophones (par exemple: George Albert Wells, Robert M. Price et Earl Doherty) ou francophones.
De plus, l'article précise que Jean Guitton affirme dans son Portrait de Marthe Robin (Grasset, 1985) avoir «déclaré lors des obsèques de Couchoud qu'il était mort dans la foi». Un ouvrage où un auteur rappelle son propre discours dans un cadre privé, après 26 années, a-t-il vraiment la qualité de source secondaire que Wikipedia préconise ?
Sources sur la vie de Jésus de NazarethWP cite Pierre Geoltrain :
«Nul n'oserait plus, de nos jours, écrire une vie de Jésus comme celles qui virent le jour au XIXe siècle. L'imagination suppléait alors au silence des sources ; on faisait appel à une psychologie de Jésus qui était le plus souvent celle de l'auteur. L'ouvrage d'Albert Schweitzer sur l'histoire des vies de Jésus a mis un terme à ce genre de projet. Quant à l'entreprise inverse, quant aux thèses des mythologues qui, devant les difficultés rencontrées par l'historien, ont pensé les résoudre toutes en expliquant les Évangiles comme un mythe solaire ou un drame sacré purement symbolique, elle ne résiste pas à l'analyse. L'étude des Évangiles permet de dire, non seulement que Jésus a existé, mais encore bien plus.» (Pierre Geoltrain, Encyclopædia Universalis, art. Jésus, 2002)
On se demande quelles sources nouvelles ont fait irruption au XXe siècle (les manuscrits de Qumran ? ; en absence d'argumentation, cet extrait est davantage un appel à l'autorité et une profession de foi qu'une affirmation scientifique.
Wikipedia n'aime pas trop les auteurs mythistes
S'il est d'usage pour les croyants de nier le «blackout», genre de «théorie du complot» contre la thèse d'un Jésus mythique, nous pouvons voir que cette thèse est pour le moins bien «encadrée» par l'avis des «historiens sérieux». Cela ne semble pourtant pas suffire : des personnalités mythistes d'importances variables ont vu leur page disparaître de l'encyclopédie collaborative.
Voici donc un constat fait ce mois de juin 2013 sur le Wikipédia francophone à propos de la disparition de pages consacrées à des auteurs niant l'historicité de Jésus de Nazareth.
⇒ La page Wikipédia concernant Georges OryWP a été supprimée le 5 mai 2012, avec la mention «Critères d'admissibilité des articlesWP : l'unique contributeur de cette page était 93.31.24.24». Comme s'il fallait qu'il y ait plusieurs contributeurs pour qu'une page soit valide… D'autre part, Georges Ory (1897-1983) a été membre du Parti Radical, dont il fut secrétaire en 1929, et a fondé en 1949 avec le prêtre excommunié Prosper Alfaric (1876-1955) le Cercle Ernest Renan, dont il prit la présidence en 1971. Ce n'est semble-t-il pas suffisant.
Outre nombre d'articles concernant la religion pour le Dictionnaire rationaliste (1964) et plus de cinquante articles pour les Cahiers du Cercle Ernest Renan, il a écrit :
- 1963 Analyse des Origines chrétiennes, Éd. Rationalistes
- 1968 Le Christ et Jésus, Éd. du Pavillon
- 1975 À la Recherche des Esséniens. Essai critique, Cahiers du Cercle Ernest Renan hors série.
- 1980 Marcion, Cercle Ernest Renan
⇒ La page Wikipédia concernant Guy FauWP (né en 1909) a été supprimée le 26 mars 2008, avec pour seule mention: «Critères d'admissibilité non atteints»WP.
La page a été rétablie le 7 août 2013, oubliant de mentionner sa présidence du Cercle Renan et son ouvrage La fable de Jésus-Christ, qui n'a été ajouté que le 26 août 2015.
⇒ La page Wikipédia concernant Nicolas BourgeoisWP a été supprimée le 14 juillet 2006. La raison est qu'il n'était connu que par un blog, l'article le concernant n'aurait donc été qu'auto-promotion. C'était effectivement avant que ne sorte Une invention nommée Jésus (2008) aux éditions aden. La page envisageait-elle la thèse mythiste? Comme il n'y a eu aucun débat (unanimité de dix personnes pour la suppression), il est difficile de le savoir ; peut-être s'agissait-il d'une autre personne. La page n'a toujours pas été restaurée : le Nicolas Bourgeois mythiste ne s'auto-promeut donc pas vraiment pour le coup.
⇒ La page Wikipédia concernant Marc HalletWP (né en 1952) a été supprimée le 10 mai 2010, après débat ayant amené à un vote. Le promoteur de la suppression, Mogador, estime que Marc Hallet est une
Personne hors critère à la notoriété anecdotique voire inexistante. Amateur diplômé comme instituteur (école normale en Belgique). Pas de source secondaire sur la personne ni de relais de ses travaux dans des publications académiques ou spécialisées. Cela devient gênant quand on essaie d'introduire ses travaux à compte d'auteur dans les articles comme Thèse mythiste.
Remettre en cause la neutralité de point de vue, dogme fondamental de Wikipédia, est un sujet qui risquerait de nous emmener bien loin. Bornons-nous à dire qu'il est facile d'orienter un propos en choisissant les sources secondaires de façon adéquate. Dans le cas qui nous occupe, c'est d'autant plus simple que les spécialistes agréés sont souvent professeurs de théologie, et que parmi les historiens des débuts du christianisme, bon nombre d'entre eux sont chrétiens. À ce propos, souvenons-nous que c'est un médecin, Jean AstrucWP, qui a lancé l'hypothèse documentaireWP qu'aucun théologien patenté n'avait osé découvrir avant lui.
L'obligation de sources secondaires, même utilisée avec discernement, rend difficile l'exposé d'idées à contre-courant : l'encyclopédie Wikipédia est de ce fait la garante de toutes les doxas, se voulant le miroir le plus fidèle de la réalité telle que déjà exposée ailleurs.
Rappeler qu'un intellectuel est «seulement» instituteur de formation n'est qu'une forme du sophisme génétique, qui évalue une thèse ou un argument selon la situation de la personne qui l'énonce. Il s'agit d'un argument dangereux pour l'Église : tout croyant, et plus encore un professionnel de l'Église, serait automatiquement suspect – sauf bien sûr s'il est défroqué… Il est bien plus intelligent – et courageux – de considérer les arguments pour eux-mêmes, qui ne devraient être acceptés ou réfutés que selon leur pertinence. Mais aux arguments (vrais ou faux, en tout cas interpellants) des mythistes n'est opposé qu'appel à l'autorité : c'est ce qui déforce finalement le plus la thèse du Jésus historique.
Pour en revenir à notre auteur «à la notoriété anecdotique» : au moment de la suppression de la page, Marc Hallet avait déjà à son actif plusieurs livres édités par de vrais éditeurs (ceux à compte d'auteur ne comptent pas, semble-t-il), assez faciles à trouver sur Internet (il suffit de saisir marc hallet livre dans un moteur de recherche) :
- 1983 *Desert center* George Adamski, chez Michel Moutet
- 1985 Que penser des apparitions de la Vierge, chez Pierre Marcel Favre
- 1992 Les Sciences Parallèles ou La Sagesse des Fous, Centre d'Action Laïque
- 1997 «Adamski and His Believers : A Reminiscence», in UFOs 1947-1997 - From Arnold to the Abductees, Fifty Years of Flying Saucers, Hilary Evans and Dennis Stacy éd., John Brown Publishing Ltd
- 2002 Quand des scientifiques déraillent, Labor
Celui-là était sous presse (sortie en septembre 2010) :
- 2010 Le Cas Adamski, Les Cahiers Fortéens, Vol. 1, L'oeil Du Sphinx
Déclarer qu'il n'a jamais été cité dans la littérature académique ou non académique était risqué : il est difficile de prouver une inexistence. Le sujet est par ailleurs assez épineux, comme tout ce qui concerne les croyances : quelle littérature académique serait susceptible de citer un chercheur non professionnel en ufologie, favorable ou non? Les astronomes ont en général d'autres sujets de publication, l'ufologie n'étant qu'à la marge un sujet astronomique.
Pour la littérature non académique par contre, cette assertion est tout simplement fausse. Marc Hallet a écrit pour des revues ufologiques ou de parapsychologie, alors qu'il est notoirement sceptique vis-à-vis des deux disciplines. Par exemple :
- 1977 «La vision d'Ezéchiel : un mythe soucoupiste?», Revue des Soucoupes Volantes, n°1, juin 1977.
- 1997 «La prétendue Vague d'OVNI belge…», Revue Française de Parapsychologie, vol. 1, n°1, , p. 5-23.
- 2002 «À propos des prétentions scientifiques de l'ufologie et des ufologues», Les Mystères de l'Est n°7
- 2002 «Souvenirs personnels d'un ex-ufologue», UfoLog #12, juin 2002
- 2003 trois articles dans UfoLog #13, hiver 2002-2003
Enfin, le site suédois www.ufo.se (sceptique ou pas?) a décidé de reprendre son texte Why I can say that Adamski was a liar.
La «notoriété anecdotique, voire inexistante» de Marc Hallet est donc plutôt le reflet de l'ignorance, de la paresse ou de la mauvaise foi du wikipédiste ayant proposé la suppression. Marc Hallet est en effet quelqu'un de connu non seulement dans le milieu critique à l'égard des soucoupes volantes, mais également dans le milieu ufologiste.
Il est très probable que Marc Hallet ne soit pas très connu du grand public. Mais d'autres auteurs bien plus «notables» ne le sont pas plus : pouvez-vous situer deux des personnes suivantes : Tomas Tranströmer, Mo Yan, Alice Munro ou Svetlana Aleksievitch? - Réponse.
Ce sont les prix Nobel
de littérature en 2011,
2012, 2013 et 2015.
Le site agrégateur wikimonde.com, qui n'édite pas les articles qu'il reprend de WP, a maintenu la page Marc Hallet, ce qui permet de prendre la mesure de la pertinence de son existence. On se rend d'ailleurs compte que Mogador y a contribué avant de proposer sa suppression.
Conclusions
Nul désir de faire passer les mythistes pour des martyrs : laissons cela aux chrétiens dont c'est le fond de commerce, positionnement qui revient en force avec l'effritement de «leur» civilisation. Mais remarquons que les athées, agnostiques ou mythistes ne défendent pas leurs idées sur Internet : ni le Cercle Ernest Renan, ni la Libre Pensée ne prend son histoire en main (ni sur Wikipédia ni sur leurs propres sites), laissant le champ libre aux institutions ecclésiales et aux croyants susceptibles ; ce qui gêne le wikipédiste cité, c'est «quand on essaie d'introduire [d]es travaux à compte d'auteur dans les articles comme Thèse mythiste». Tout est dit.
Il y a certainement mieux à faire que de provoquer des guerres d'éditionWP sur Wikipédia, où la loi du plus grand nombre ou la «raison» des plus affligés triomphe souvent sur la rationalité. Ayant remarqué que Cercle Ernest Renan n'existe pas sur WP, pas plus que Jean Cotereau (nouvelle page le 30 juin 2015) alors que certaines pages internes, ou des pages extérieures, y pointent, il suffisait de la rédiger.